Parce qu’il a écrit de la science-fiction quasiment sans science, Ray Bradbury est peut-être l’un des plus grands écrivains de fiction pure du XXe siècle. Technophobe dont les diatribes contre l’Internet et les ordinateurs étaient bien connues, Bradbury est avec Sturgeon le moins positiviste des auteurs de l’âge d’or de la SF américaine. Ses Chroniques […]
Parce qu’il a écrit de la science-fiction quasiment sans science, Ray Bradbury est peut-être l’un des plus grands écrivains de fiction pure du XXe siècle. Technophobe dont les diatribes contre l’Internet et les ordinateurs étaient bien connues, Bradbury est avec Sturgeon le moins positiviste des auteurs de l’âge d’or de la SF américaine.
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Ses Chroniques martiennes n’exaltent pas l’exploration spatiale. Elles sont, comme on disait en Chine ancienne, « les Printemps et les Automnes » d’une planète rouge conquise puis délaissée. Fahrenheit 451 est une dystopie, le portrait du futur en autodafé.
Esprit sceptique, Bradbury n’était pas un réactionnaire. C’était un artiste tentant de laisser miroiter les rêves humains d’avenir avec une part égale d’émerveillement et de mélancolie par avance. Ses œuvres qui paraissaient surannées dès leur publication n’ont pas vieilli : elles nous racontent le futur comme s’il était déjà passé, comme si c’était un conte des temps lointains.
Son livre probablement le plus beau, Something wicked this way comes (hélas traduit sous le titre : La Foire aux ténèbres) saisit avec une vivacité sans pareille le dernier été et l’automne de deux enfants : nous sommes en Illinois, le cirque arrive en ville et Monsieur Dark est le chef satanique d’une troupe de forains qui annonce la fin de l’innocence. Stephen King a plusieurs fois reconnu que son œuvre entière s’était nourrie à la source de ce roman crépusculaire, encore miroitant des derniers feux de l’insouciance.
Le Vin de l’été, quoi qu’un peu plus fleur bleue, est du même tonneau. Surtout, les nouvelles (Les Pommes d’or du soleil, Un remède à la mélancolie) chantent ce même Éden de jeune homme américain ; leur postérité sera considérable. Spielberg n’aurait pas tourné Rencontre du 3e Type, E.T. ou AI sans les avoir lues ; et les textes de Ballard, période Vermillion Sands, sont bradburyens en diable.
Comme le corps entier de son célèbre personnage d’« Homme illustré », les recueils de Bradbury sont tatoués de fresques enchantées :
« Il y avait des prés jaunes et des rivières bleues, des montagnes, des étoiles, des soleils et des planètes éparpillés en une voie lactée qui lui barrait la poitrine. »
Peintre naïf, il a couché sur le papier des visions fugitives mais scintillantes, avec cette conviction : le temps peut passer, la technique peut nous rendre heureux, immortels, en bonne santé, il y aura toujours quelque chose à regretter – l’enfance.
Frank Black avait intitulé l’un de ses moins bons albums The Cult of Ray, en hommage à l’auteur de « Je chante le corps électrique ». Le culte de Ray ? Le Ray est mort, vive le Ray, et pour longtemps encore dans le cœur des amateurs de ce grand conteur du monde non pas de demain, mais d’après-demain.
Tristan Garcia
Ecrivain et philosophe, Tristan Garcia publiera à la rentrée son premier texte de science-fiction Les cordelettes de Browser (Denoël).
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