Le youtubeur Romain Molina sort une biographie fouillée d’Edinson Cavani, l’attaquant vedette uruguayen, en s’appuyant sur tous ceux qui l’entourent et en revenant à la source, son pays.
Page 112, Walter, le frère d’Edinson Cavani, s’épanche : “Quand les conquistadores sont venus (en Uruguay), ils ont confisqué les terres des indigènes qui se sont battus mais ont été exterminés. Deux siècles plus tard, Edinson arrive en Europe, sur la terre des conquistadores. Il conquiert l’Italie, puis la France, Paris. Il gagne une fortune et rachète des terres près de sa ville de Salto. D’où cette théorie : n’est-ce pas un juste retour des choses ?”
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L’idée est belle, voire juste, mais au-delà de son intérêt socio-historique, ce recul séculaire aidant à comprendre la nature profonde du buteur parisien met également en relief l’architecture du nouvel ouvrage de Romain Molina (dont la chaîne YouTube d’analyse du football et de ce qui l’entoure est très suivie) qu’il décrit lui-même “non pas comme un livre sur Edinson Cavani mais autour d’Edinson Cavani”.
Présenté comme une biographie inédite de l’attaquant en pointe de la MCN éclatante du Paris-Saint-Germain, autant prévenir d’emblée : Cavani, el Matador n’est pas que cela. Romain Molina va même jusqu’à omettre volontairement certains aspects de la vie de l’Uruguayen que d’autres auraient certainement utilisés comme arguments de vente.
Une antithèse de l’image d’Epinal du footballeur
Exit, donc, les détails de l’intimité d’Edi, comme l’appellent ses proches, dès lors qu’ils ne font pas sens au sujet de la carrière du joueur. “Dans vie privée, il y a privé”, nous rappelle Romain Molina. Ce qui ne l’empêche pas de parler de l’homme qu’est Cavani, ou plus exactement de l’humain, sensible et discret. Une sorte d’antithèse de l’image d’Epinal du footballeur, égocentrique et fringant, dont Neymar, son coéquipier en club, est l’exemple type.
Romain Molina, ancien pigiste foot et basket originaire de l’Isère devenu écrivain du sport installé en Andalousie (il a été particulièrement remarqué pour son dernier livre autour de l’entraîneur du PSG Unai Emery), dresse donc le portait d’un joueur au professionnalisme absolu tout au long de 250 pages, suivant le parcours de Cavani de façon certes chronologique mais en faisant le choix, de prime abord surprenant, de centrer chaque chapitre sur une personne qui a particulièrement compté à un moment de la vie du footballeur.
C’est que Romain Molina n’oublie pas que “ce sont ces gens, pour la plupart anonymes, qui connaissent le mieux cette histoire”. Et l’auteur de s’effacer presque complètement en conclusion des chapitres afin de laisser parler les différents entraîneurs, coéquipiers, préparateurs physique ou autres membres de la famille de Cavani, et de s’intéresser aux détails de leur vie, un peu à la manière d’un roman tentaculaire s’arrêtant quelques pages sur ce passant qui, un jour, a souri à son héros.
L’Uruguay et les Uruguayens
Tous ne sont pas forcément des proches. “Je pense que pour comprendre toute la complexité d’Edinson Cavani, il faut le regarder de près mais aussi de loin.” Il est vrai que l’on ressort du livre étonné par cet homme à la volonté folle, à l’ambition réfléchie et à la sobriété salvatrice.
Une personnalité aussi forte que discrète et que Romain Molina explique en grande partie par la nature même de la culture uruguayenne. Ainsi la première moitié du livre est entièrement plongée à l’intérieur de ce petit pays de 3,5 millions d’habitants coincé entre les géants brésilien et argentin.
Et l’on ne peut nier que les précisions historiques, culturelles et politiques à propos de cette ancienne colonie devenue un modèle de progressisme (comment oublier Pepe Mujica ?) nous aident à mieux comprendre le mélange d’humilité et de fierté caractérisant Cavani, qui plus est quand on sait à quel point il reste attaché à cette identité nationale.
L’Uruguay et les Uruguayens donc, voilà la colonne vertébrale de la première partie de Cavani, el Matador, au cours de laquelle Romain Molina se laisse même parfois aller à des descriptions de scènes en montage parallèle, comme dans un thriller. Il faut dire que le football et sa capacité à créer le suspense y sont propices. Le football, justement, présent dès le début, va peu à peu prendre le dessus au fil des pages, de plus en plus approfondi dans ce qu’il a de plus technique.
Avec une écriture assez fluide et aux fioritures limitées, l’auteur développe une véritable pédagogie de la tactique en général et plus précisément de la science complexe que sont les mouvements d’un attaquant de pointe. Les différents intervenants, pour la plupart professionnels et/ou fins connaisseurs du ballon rond, sont en cela particulièrement éclairants, histoire de rappeler qu’un footballeur est d’abord un travailleur et que, comme toutes les autres, sa besogne est aussi une affaire de connaissances, de réactivité, de concentration – bref, d’intelligence, et non pas, comme certains peuvent le penser, seulement une question de dépense physique, même si elle est intense, surtout dans le cas de Cavani.
Un voyage bourré d’intelligence, d’anecdotes étonnantes
La biographie ne le cache pas, au contraire : Cavani est certes doté d’un corps et d’une musculature particulièrement adaptés aux lézardures exigées par son poste, il n’a pas, balle au pied, la finesse technique qui semble innée à d’autres grands. Voici aussi ce qui explique le sérieux et les constants efforts d’Edi. Des efforts, dit son frère Walter dans le livre, qu’il ne faut pas confondre avec des “sacrifices”, en rappelant que la passion est le seul moteur du football.
Romain Molina nous confie d’ailleurs que Walter ne souhaitait absolument pas que son frère soit présenté comme un génie. On ne peut alors que penser, encore une fois, à Neymar et à son père, aussi impliqué que tatillon dans les affaires de son fils et qu’on s’imagine plutôt formuler la demande inverse.
Comme quoi la démarche de Romain Molina fait mouche. Pour comprendre quelqu’un, rien de mieux que de comprendre ceux qui l’entourent, ceux qui l’ont fait d’une manière ou d’une autre. Et ce que l’on comprend en sortant du livre, c’est qu’Edinson Cavani, malgré sa fortune dont il se sert d’ailleurs bien souvent à bon escient, ressemble à cet entourage de gens simples mais sérieux, bons mais lucides, plutôt qu’à la grande majorité de ses coéquipiers ensevelis sous la gloire et l’argent dès le plus jeune âge et qui ont souvent du mal à cerner ce Cavani préférant au bling-bling la pêche, la chasse et la nature en général. Le tout en travaillant comme un acharné, en empilant un nombre phénoménal de buts et en s’époumonant à revenir défendre jusqu’à la dernière minute du moindre match.
Au final ce livre s’attarde relativement peu sur la carrière du Matador au Paris-Saint-Germain (quoique les quelques chapitres qui y ont trait soient assez croustillants et dopés par les témoignages de Javier Pastore, Thomas Meunier et d’autres).
Ouvrage hybride entre leçon de vie(s) et pédagogie technique d’un certain aspect du football (notamment sans ballon) – et que Romain Molina dit aussi avoir écrit pour donner envie de lire à un public pas forcément prédestiné à ce genre d’activité – il ravira les amoureux du foot en général et du PSG en particulier qui pourront appréhender le mérite réel de Cavani, que ce soit sur le plan humain ou professionnel.
Mais sa lecture est à recommander aussi aux simples curieux qui, de l’Uruguay à la France en passant par l’Italie, feront un voyage bourré d’intelligence, d’anecdotes étonnantes (dont un remake du Parrain à Palerme où la tête de cheval a été remplacée par celle d’une chèvre).
Tous en ressortiront avec l’espoir, au-delà des gouts et des couleurs, que les mioches débutant le football s’inspirent moins de ce qui brille du fait des diamants que de la transpiration provoquée par les sacrifices. Pardon, par les efforts… par la passion.
Cavani, el matador, de Romain Molina, éd. Hugo Sport, 17€
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