Après “M. Je-Sais-Tout”, sorte d’autobiographie d’un vieux con, le cinéaste culte nous revient en très grande forme avec un premier roman hilarant et foutraque.
En dépit d’une filmographie où pointent bien des sommets (de Pink Flamingos à Serial Mom), l’Américain John Waters a, semble-t-il, renoncé à la réalisation depuis 2004 (et A Dirty Shame). Dommage pour le septième art, bonne nouvelle pour la littérature. Et pourtant, le dandy intersidérant fera son retour au cinéma en adaptant ce nouveau texte.
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On avait adulé son autobiographie, M. Je-Sais-Tout (Actes Sud, 2021), manuel de savoir-vivre façon lance-flammes. On chérit, au-delà du darling, Sale Menteuse, sous-titré Une romance feel-bad. Nous voilà d’emblée en terre d’asile (à tous les sens du terme). Dans ce premier roman, le jeune (77 ans) John Waters annonce ses couleurs (arc-en-ciel) en campant son héroïne Marsha Sprinkle, incarnation du programme annoncé par le titre. Sale au sens moral autant qu’hygiénique, menteuse à arracher toutes les dents.
“Marsha est supérieure aux autres. Elle le sait. Plus intelligente. Peut-être pas en ce qui concerne toutes les conneries inutiles qu’on a essayé de lui apprendre à l’école mais dans le domaine des trucs qui comptent.” Entre autres trucs, le vol de valises sur les tapis roulants de l’aéroport de Baltimore-Washington, aux dépens de touristes jet-lagué·es ou de passager·ères cathos tradis débordé·es par leur marmaille hurlante.
À ses côtés, son complice Daryl, faux chauffeur mais vrai couillon qui espère un rapport avec elle. Las ! Marsha, décidément singulière, abhorre le sexe. Ce qui ne l’a pas empêchée d’avoir une enfant, suite d’une éjaculation distraite de son ex-mari. Marsha a fermé sa porte et ne décolère pas. “Tous les enfants ne sont-ils pas de maudits envahisseurs déterminés à vous déchirer les parties intimes ?”
Adora, sa mère, s’adonne à la chirurgie esthétique pour animaux (Surprize, sa chatte trans, aboie)
Un bordel, mais de belle littérature
Sa rage augmente quand ses proches menacent de la zigouiller – Daryl, son partenaire pathologiquement hétéro qui découvre que sa bite parle et, sortant de sa braguette comme on sort du placard, se proclame gay ; Poppy, sa fille, gérante d’un club d’extrémistes du trampoline qui s’honore d’avoir organisé le premier concours de drag-queens bondissantes ; Adora, sa mère, qui s’adonne à la chirurgie esthétique pour animaux (Surprize, sa chatte trans, aboie).
Mais Marsha a du répondant, jusqu’à dire la vérité, comble du vice pour une menteuse. Chamboulée par un certain Lester, pur bloc de testostérone, elle l’accompagne dans sa croisade pour la libération des chiens de compagnie.
Une fantaisie outrageante, incorrecte, queer sans frein, qui transgresse les codes du récit bien peigné
Une bite qui parle. Une chatte qui aboie. Une menteuse qui dit vrai. “Qu’est-ce que c’est ce bordel ?”, s’exclame un des protagonistes du roman comme s’il lisait dans nos pensées. Un bordel, en effet, mais de belle littérature. Une fantaisie outrageante, incorrecte, queer sans frein, qui transgresse les codes du récit bien peigné, se tamponne du vraisemblable et matraque la connerie, celle des Américain·es en particulier, et ce dans ses moindres détails. Par exemple, l’habitacle d’un taxi qui pue le sandwich au rôti froid. “Comment est-ce possible alors qu’un de ces pitoyables petits sapins pendu au rétroviseur est censé diffuser une odeur de chiottes récurées ?” Les ami·es de la poésie punk – à portée universelle, cela va sans dire – apprécieront.
Sale Menteuse de John Waters (Gaïa), traduit de l’anglais (États-Unis) par Laure Manceau, 256 p., 22,80 €. En librairie.
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