Parmi tous les textes importants du féminisme enfin traduits en France, on peut désormais découvrir Gloria Anzaldúa, qui introduisit le mot “queer” à l’université et écrivit autour du sort des femmes mexicaines.
Terres frontalières / La Frontera, le premier ouvrage de Gloria Anzaldúa, est “largement reconnu comme un livre classique qui a changé le cours des études Chicanx [la forme dégenré du mot chicano/a, ndlr], et de plusieurs autres disciplines des sciences humaines et sociales”, avance l’universitaire Paola Bacchetta dans la préface à la traduction française. Il aura pourtant fallu attendre trente-cinq ans pour que ce classique de la pensée féministe, initialement publié aux États-Unis en 1987, atteigne la France.
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C’est l’un des effets visibles, dans les rayons des librairies, de l’engouement actuel pour ces thématiques : depuis quelques années, des textes féministes et/ou queer de première importance trouvent enfin grâce chez des éditeurs français, après avoir été snobés au moment de leur parution outre-Atlantique il y a juste une poignée de décennies. On pense notamment aux récentes traductions de bell hooks (Divergences), d’Eileen Myles (Éditions du sous-sol), de Joan Nestle et Leslie Feinberg (Hystériques & Associé·es), d’Audre Lorde (L’Arche). Et de Gloria Anzaldúa, donc, qui rejoint, au sein de la collection “Sorcières” des éditions Cambourakis, les formidables traductions de Julia Serano, Starhawk – et d’autres.
Représentante du mouvement féministe Chicana
Peu connue en France, l’autrice est l’une des représentantes les plus fameuses du mouvement féministe Chicana, qui s’intéresse plus particulièrement à la condition des femmes d’origine mexicaine vivant aux États-Unis. C’est à cette “Tejana” (c’est-à-dire une Texane autochtone d’origine mexicaine), née en 1942, que l’on doit l’introduction du terme “queer” dans les cercles universitaires, avant que ne se développe la théorie du même nom, ainsi que le recueil This Bridge Called My Back: Writings by Radical Women of Color (1981, co-édité avec Cherríe Moraga), qui a marqué toute une génération de féministes. “Je suis une femme de frontière, revendique-t-elle dans Terres frontalières / La Frontera. J’ai grandi entre deux cultures, la culture mexicaine (avec une forte influence indienne) et la culture anglo (en tant que membre d’un peuple colonisé sur son propre territoire). Et de conclure : “Ce n’est pas un territoire confortable où vivre, ce lieu de contradiction.”
Mélangeant souvenirs personnels, notions historiques et analyses philosophiques, l’universitaire trace sa réflexion sur cette terre frontalière – au sens géographique – qui est la sienne, mais aussi sur d’autres frontières qui la tiraillent : les langues et les barrières que celles-ci créent, les sexualités (elle s’identifie comme lesbienne), les religions, les héritages culturels… Mélange de prose et de poèmes, le livre en lui-même se fait l’incarnation physique de cette hybridation puisqu’il est rédigé dans pas moins des huit langues parlées par l’autrice : deux variations d’anglais et six variations d’espagnol. Si la majorité du texte est en anglais (ici traduit en français), des bouts de phrases en espagnol mexicain, ou encore des poèmes en tex-mex, viennent troubler la lecture – mettant ainsi les lecteurs·trices qui ne maîtriseraient pas ce vocabulaire dans une position qui se rapproche de celle des migrant·es confronté·es aux opacités linguistiques.
Conscience mestiza
La poétesse, décédée en 2004, termine la première partie de son livre (celle majoritairement en prose) en exaltant une nouvelle “conscience mestiza”, c’est-à-dire “métisse”, qui permet de dépasser les oppositions binaires pour mieux réunifier les différentes dimensions des êtres. “En créant un nouveau mythe, en changeant notre façon de percevoir la réalité, notre façon de nous voir nous-mêmes et nos façons de nous comporter, la mestiza crée une nouvelle conscience”, écrit-elle. Gloria Anzaldúa en est sûre : “En unas pocas centurias, l’avenir appartiendra à la mestiza.”
Terres frontalières / La Frontera, La nouvelle mestiza, de Gloria Anzaldúa, éd. Cambourakis, traduction Nino S. Dufour et Alejandra Soto Charcón, 336 p., 24 €, en librairies.
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