Melvil Poupaud signe un scrap book poétique pour dire les accidents d’une vie tendue par le cinéma et ses rencontres. Magique.
Les acteurs deviennent connus et dès lors, les films qu’ils font ne leur suffisent plus. Alors ils font de la danse, mais c’est rare. Plus souvent, ils écrivent. Et généralement, c’est calamiteux. Contrairement à eux, Melvil Poupaud n’est dupe de rien et ne jouera pas à l’écrivain. Dès la quatrième de couverture, son choix sera d’être au plus vrai :
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« Car il a bien fallu que je me rende à l’évidence. Ma place a toujours été dans le cinéma et mon rôle a toujours été de « savoir » être un autre : jouer au cowboy, jouer aux Indiens, jouer à l’artiste et, de temps en temps encore, jouer à l’écrivain. »
Et quand Poupaud joue à écrire un livre, ça donne un texte ludique, gracieux, fragmenté, comme sans cohérence autre que le plaisir du jeu : plutôt un jeu de piste chez Melvil Poupaud ou, réduit au format d’un livre, un jeu de l’oie, qui nous entraîne dans les labyrinthes de sa vie en nous faisant sauter des cases « cinéma » aux cases « amour », tout en brouillant toutes les cartes, tant existence et travail se confondent chez ce jeune homme (né en 1973) qui commença le cinéma dès l’enfance. Poupaud s’était déjà livré, dès son jeune âge, à un passionnant exercice autobiographique, se filmant depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte.
Le texte permet une revisitation de soi via tous les miroirs que lui ont tendu le cinéma et ses rencontres magiques. De sa mère, Chantal, monteuse au cinéma et amoureuse de musiciens de rock, à ses balades à Cinecittà avec la jeune Chiara (son premier amour) et son père, l’élégant Marcello Mastroianni ; de ses souvenirs avec Raúl Ruiz à son antagonisme avec Eric Rohmer, jusqu’à son mariage ou ses tournages aujourd’hui… Poupaud mêle dessins, photos, extraits de scénarios, récits, correspondance, pour signer le charmantissime scrap book d’une vie qui se livrerait en anecdotes, en fulgurances, en scènes légères et en clins d’oeil, et non pas en roulements de tambours, scènes grandiloquentes, overdoses de signifiance.
Parce qu’une vie tient dans ses hasards, correspondances troublantes : « Bien entendu, je ne savais pas, quand j’ai rencontré ma femme, Georgina, dans un studio de musique, à 23 ans, qu’elle était la filleule de Rohmer. Je n’aurais jamais imaginé non plus que quelques années plus tard, Jean Parvulesco, mystérieuse figure de la Nouvelle Vague qui donna son nom au personnage de cinéaste qu’interprète Jean-Pierre Melville dans A bout de souffle, allait hanter mon mariage, pourchassant dans tout l’appartement mon témoin Raúl, qui, de son côté, allait tout faire pour l’éviter. De même, comment prévoir que l’amie d’enfance de ma femme allait épouser quelques années plus tard mon meilleur ami, Mathieu Demy, à qui j’ai volé, quinze ans avant de le rencontrer, un jouet qui traînait dans la cuisine de chez sa mère, Agnès Varda, laquelle souhaita me rencontrer à 12 ans pour un rôle qu’elle confia finalement à son fils, Mathieu, donc, qui par la suite allait donner à son premier enfant le prénom du père de ma femme. »
Et toute la poésie du texte tient dans ce savoir du non-savoir qu’il y a à vivre, et sa restitution comme intacte, avec la fraîcheur innocente de celui qui ne sait pas ce qu’il va vivre – alors que, pourtant, il l’a vécu. Quant au jeu lacanien du titre, disons qu’il reflète exactement cela : une vie, c’est ce qui est bizarrement à soi mais jamais sien, c’est tout ce qu’on ne possède pas.
Nelly Kaprièlian
Quel est Mon nom? (Stock) 278 pages, 21,50 euros.
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