Pour les 100 ans de la naissance de l’écrivain, son premier roman inédit est publié. Il avait refusé que ce soit fait de son vivant.
Les écrivains, comme tous les artistes, ne sont pas toujours les meilleurs juges de leur propre travail. Parfois trop sévères envers eux-mêmes, ils laissent de côté des pans entiers de leur œuvre. C’est ce qui s’est passé avec L’océan est mon frère, premier roman de Jack Kerouac, écrit en 1942 et mis immédiatement de côté par son auteur.
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Le livre fut publié à titre posthume outre-Atlantique, il y a dix ans. Il sort enfin en France. Ce type d’inédit est à considérer avec prudence, voire suspicion. Si l’auteur n’a pas voulu publier un texte de son vivant, pourquoi le sortir après sa mort ? Serait-ce l’un de ces “fonds de tiroir” publiés par des éditeurs pour profiter de l’aura d’un grand auteur ? En l’occurrence, non.
Effluves de la vie nocturne
On comprend certes que Kerouac n’ait pas souhaité publier ce texte en son temps : de facture plutôt classique, celui-ci n’offre pas les phrases dynamitées, le flux de conscience syncopé par un jazz effréné, qui définira le style de l’un des écrivains phares de la Beat Generation. Il n’en reste pas moins un roman de grande qualité, où l’on respire avec délice l’air de l’océan, les effluves de la vie nocturne à Soho et Tribeca, le parfum de cette liberté sans entrave, teintée d’effronterie et d’insouciance, de la jeunesse.
L’océan est mon frère raconte les mésaventures, errements, dérives de Wesley Martin et de Bill Everhart, un marin silencieux et un assistant de littérature à Columbia. Tandem parfait : Wes, peu loquace, agit sans réfléchir, tandis qu’Everhart discourt sans cesse, ce qui permet à l’auteur d’exposer son point de vue sur plusieurs sujets délicats et encore tabous à l’époque (racisme, sexe, lutte des classes, etc.). “[…] America, un mot magnifique pour un monde magnifique – jusqu’à ce que les gens débarquent tout simplement sur ses rivages, combattent les peuples sauvages indigènes, transforment le pays, l’enrichissent, et puis s’allongent pour bâiller et roter.” Derrière les deux personnages, on devine aisément de qui Kerouac s’inspire : lui-même, pour Wes ; et Allen Ginsberg pour son acolyte.
L’océan est mon frère de Jack Kerouac (Gallimard/“Du monde entier”), traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina, 204 p., 19 €.
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