Nouvelle star des lettres britanniques, Natasha Brown dénonce le racisme en Angleterre dans “Assemblage”, un premier roman en forme de puzzle qui a les défauts de ses qualités.
Natasha Brown est devenue la coqueluche de ceux dont elle dénonce l’hypocrisie dans son livre : les progressistes anglais, de gauche comme de droite, ce qui dit tout d’une époque, d’un pays. The Guardian, The Observer et The Times, entre autres journaux, n’ont pas manquer d’encenser Assemblage – Assembly en version originale – lors de sa parution en 2021. Comme la garden-party qu’elle décrit dans son livre, où tous les invités, occupant des postes de pouvoir, adorent s’affirmer anti-racistes devant “des burgers végétariens et des frites épaisses noyées dans l’huile de truffe”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est là où Assemblage est le plus fort, dans sa capture de la bourgeoisie bien-pensante britannique, sa fausseté, son contentement de soi, son faux désir d’inclure l’autre alors que tout son pouvoir est fondé sur l’exclusion, l’entre-soi, l’héritage et l’entitlement. Assemblage est une performance. Un texte qui met en scène la voix d’une jeune femme anglaise, d’origine jamaïcaine, dont l’évolution au cours du texte passe de la discrétion au déchaînement de colère, de la description au discours, de l’intimidation à l’assurance, du désir de s’intégrer à celui d’exclure les autres.
S’écraser pour se faire accepter
Tout ce qu’on sait de cette narratrice jamais nommée est qu’elle travaille dans la finance à la City de Londres, gagne beaucoup d’argent, vient de s’acheter un appartement, et sort avec un blanc, fils de famille, qui l’invite dans la propriété familiale à la campagne pour fêter – en très grandes pompes – l’anniversaire de mariage de ses parents (père dans la politique, etc). Tout semble aller plutôt bien pour elle, preuve en effet que les temps ont changé pour une jeune génération issue de l’émigration, pas seulement réduite à faire les sales boulots dont les blancs ne veulent pas.
Natasha Brown montre tous les petits faits racistes que sa narratrice subit au quotidien, le sentiment qu’elle a de devoir sans cesse s’écraser pour être acceptée dans la société anglaise, ne pas se faire remarquer, filer doux. Elle se découvre un cancer, et la garden-party dans la propriété du fiancé allumera le feu de sa colère, la famille l’affichant comme l’emblème de leur ouverture d’esprit tout en la traitant avec indifférence, ou condescendance. “Quelle jolie robe”, lui lance la mère le lendemain de son arrivée dans leur domaine – on l’a dit plus haut, Natasha Brown n’a pas son pareil pour détecter et épingler tous les gimmicks d’une société, disons l’upper-middle-class, qui vous flatte pour mieux vous prouver que vous n’en êtes pas.
Un exercice de déconstruction
La voix de la jeune femme se fait diatribe, manifeste, règlement de comptes, plainte acerbe, constante. Elle accuse : “Comment examine-t-on l’héritage de la colonisation, quand les faits les plus élémentaires de sa mise en œuvre demeurent contestés dans l’esprit de ceux qui en bénéficient ? Y compris ce qui n’a pas été brûlé dans les années 1960 – par les autorités britanniques, durant la destruction massive, acharnée, de documents officiels. Operation Legacy, pour épargner à la Reine un moment d’embarras.”
Malgré son titre, Assemblage ressemble davantage à un exercice de déconstruction. Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’un texte qui se révèle aussi séduisant qu’ennuyeux, aussi convaincant que son contraire. D’abord, sa forme : Natasha Brown avance par fragments, entre lesquels l’ellipse occupe une grande place, ce qui est certes élégant mais opacifie le récit. Bref, on s’y perd. Son attaque en règle de l’Angleterre et des blancs convainc d’abord puis agace par son systématisme : en jouant la carte du trauma et de la victime (toujours, dans toutes situations) Brown s’inscrit sans finesse ni recul dans ce que ceux-là mêmes qu’elle dénonce attendent d’une jeune écrivaine noire aujourd’hui, se réduire à son statut de victime traumatisée avec laquelle ils peuvent se montrer bons cinq minutes par jour, bref s’acheter à peu de frais une bonne image.
Un paradoxe ?
Enfin, à force d’accuser les autres, elle en oublie hélas de s’examiner elle-même, ce qui affaiblit son texte littérairement, et politiquement. Pourquoi est-elle avec ce fils de grands bourgeois si elle le hait autant ? Toute émotion, psychologie, sentiment, attirance physique, disparaît au profit d’un seul prisme politique, réducteur. Et n’y-a-t-il pas un paradoxe à dénoncer la colonisation qui fit la fortune de certains pays en exploitant certains autres, tout en gagnant une fortune dans la finance à la City, au compte de sociétés dont la prospérité se fait sur les dos des pauvres des pays du Sud, et des émigrés (et des ouvriers blancs) en Angleterre ?
Assemblage de Natasha Brown (Éditions Grasset/En lettres d’ancre). Traduction de l’anglais par Jakuta Alikavazovic. 150 p., 17 €. En librairie le 11 janvier.
{"type":"Banniere-Basse"}