La fascination pour les faits divers rythme l’actualité médiatique sans pour autant ôter aux arcanes juridiques leur mystère. Dans La Vérité côté cour, Christiane Besnier lève le voile sur les rouages du jugement en cour d’assises, de la scénographie judiciaire à l’énoncé du verdict.
Dreyfus, Outreau, Patrick Dils, le petit Grégory… De la justice, on ne retient souvent que les errements. Pourtant chaque jour, dans les prétoires, magistrats et jurés se livrent à un exercice périlleux et salvateur : la quête de la vérité, en vue de rendre justice. Entre 2001 et 2016, Christiane Besnier a promené son regard d’ethnologue dans les cours d’assises de l’Hexagone. Elle s’est plongée dans une quarantaine d’affaires de mœurs (viols et incestes) et d’homicides (meurtres et assassinats).
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De cette immersion, elle tire La Vérité côté cour un ouvrage – parfois trop – didactique qui décrypte minutieusement la construction de la vérité dans les tribunaux. Loin des fantasmes, l’auteure compare le procès d’assises à un laboratoire où chaque partie contribue à faire émerger la vérité, malgré les intérêts divergents..
Le rituel de la cour d’assises
Que serait la justice sans les rituels qui l’entourent ? L’ethnologue commence par poser le décor qui entoure la « tribu » judiciaire. Pénétrons dans la salle d’audience. La configuration scénique de la cour d’assises assigne à chaque acteur sa place, et avec elle son rôle. Tout au long du procès, les us et coutumes régissent « le rendez-vous de l’audience ». Le président porte la lourde charge d’orchestrer les débats. Face au flot d’émotions, « il introduit la distance nécessaire au récit des faits« , relate Christiane Besnier car c’est à lui que doivent s’adresser ceux qui passent à la barre. Maître du temps, il doit veiller à faire circuler la parole de façon à ce que chacun puisse s’exprimer et qu’à l’issue du procès, vérité soit faite.
Dans cette configuration, une nouvelle donne a fait évoluer la teneur des procès depuis les années 1990 : la montée en puissance des victimes. Pour les plaignants, il devient primordial de donner sens à leur agression ou celle que leur proche a subi. “Dans les affaires d’agression sexuelle, le besoin de reconnaissance [des plaignants] devient l’enjeu de l’audience”, analyse l’auteure.
Retour dans la salle d’audience, où la parole est reine. Seul le président a eu accès au dossier, c’est donc par les débats, le jeu de questions/réponses et les témoignages que doit éclater la vérité. « Les investigateurs recherchent la réalité,des faits à travers l’oralité au sens d’un récité livré par une parole vivante. » Dans l’ambiance si particulière du tribunal, où la tension émotionnelle est forte, le rituel judiciaire est propice à l’apparition d’ « instants de vérité » : « La force du rituel est sa capacité à produire l’inattendu par la mise en œuvre d’une scène ordonnée et d’une parole maîtrisée« , observe Christiane Bernier :
“Ces instants [de vérité] peuvent être provoqués par une parole, un récit, des larmes, un sourire, un regard ou un silence. Après plusieurs jours d’audience, l’empathie, l’effroi, voire l’amusement sont des sentiments partagés par les protagonistes, les professionnels et le public.”
Le laboratoire judiciaire de la vérité
Ainsi selon l’ethnologue, une alliance pour la vérité se crée au fil de l’audience entre les différentes parties : président, assesseurs, jurés, mais aussi avocat général et les avocats. Dans cette quête commune, la vérité se dessine à travers la construction de la preuve : les hypothèses sont sans cesse éprouvées lors des questions, confirmées ou infirmées. Le président joue le rôle d’un scientifique : la « vie des cours d’assises » est à l’image de la « vie de laboratoire », selon Christiane Besnier :
“Dans les deux cas, on observe un vaste terrain d’expérience, d’échanges, de dialogue. A l’image des scientifiques, les juges racontent, éprouvent, construisent au cœur du prétoire, leur laboratoire.”
Chaque énoncé est testé, tordu, reformulé, pour évincer tout doute et l’ériger en preuve. L’objectif est, pour chaque élément, de passer d’un « chaos d’indices » au début d’audience à un « argument probant » à l’issue du débat. Les faits sont sans cesse vérifiés et comparés pour arriver à une description la plus proche de la réalité. Comme les pièces d’un puzzle, les éléments de preuve ne trouvent leur cohérence que dans le tout qu’ils forment à la fin du débat.
Restaurer le lien social
La Vérité côté cour appréhende aussi le travail de réparation émotionnelle. Un procès, c’est aussi assurer au plaignant le statut moral de victime. A travers le récit des événements, l’acte de l’accusé trouve son sens et la peine vient exorciser le mal. L’avocat général, qui représente la République, participe activement à restaurer le lien social entre les acteurs en procès en proposant la sanction, en reconnaissant les victimes et en amorçant ainsi la réhabilitation du condamné, reconnu auteur de ses actes.
Sans s’attarder sur les dysfonctionnements, l’ethnologue montre aussi les mécanismes du jugement et insiste sur son imperfection inhérente : « l’équilibre que l’on nomme ‘vérité’ n’a rien d’absolu« , rappelle-t-elle à juste titre. Du délibéré à la construction du jugement expliquée par la loi de Gauss, c’est une lecture utile pour rappeler ce qu’est la justice humaine.
Au fil des pages, Christiane Besnier décortique donc méthodiquement le modèle français, qu’elle compare aussi au modèle anglo-saxon. Pour les novices du tribunal, ce livre offre l’avantage de passer en revue tous les éléments d’un procès. Mais il faut parfois s’accrocher pour suivre le style très didactique, malgré la présence de citations saisies lors de ses observations, qui aèrent la lecture.
Christiane Besnier, La Vérité côté cour. Une ethnologue aux assises, éd. La Découverte, 2017, 252 pages.
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