Christophe Thoreau, journaliste victime de l’algie vasculaire de la face (AVF), entreprend, après une bataille de 30 ans, de raconter ce que peut être le quotidien d’une cohabitation avec cette maladie, la plus douloureuse à exister d’après les médecins, et qui touche près de 160 000 Français.
« Comme le prisonnier de guerre face à ses bourreaux, tu trembles déjà d’effroi à l’idée qu’il va falloir y passer à nouveau« . Dans son premier ouvrage personnel, Christophe Thoreau nous immerge dans ce qu’est la vie d’une personne atteinte de l’algie vasculaire de la face (AVF) ; en l’occurence, lui-même. Le journaliste indépendant – spécialiste du tennis – a, durant trente ans, subi les douleurs extrêmes infligées par cette maladie ; les plus fortes que l’être humain puisse ressentir d’après les médecins spécialistes de la question.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Maladie méconnue, elle est la forme extrême des migraines, contre laquelle les traitements habituels sont inefficaces. De 0,1 à 0,2% de la population en France est touchée. Avec humour, légèreté, et vivacité, l’auteur nous attire dans le quotidien de l’AVF : vivre avec la certitude que la douleur vient, toujours.
Le ton est ferme, incisif, parfois mordant. Le vocabulaire, choisi, parfois cru et direct, nous plonge dans les tripes et la tête du malade. Tout le livre est à la deuxième personne : nous sommes pris dans le monologue intérieur de l’auteur avec lui-même, le dialogue polémique avec la douleur, qui parfois côtoie les limites de la raison.
Vivant et gai, le texte n’en est pas moins intime. Ce sont les choses de la vie, ces émotions et pensées qui nous traversent l’esprit, vers lesquelles nous nous laissons divaguer parfois, qui forment le cœur de ce livre. La douleur, quotidienne, presque débilitante, rend ces choses plus essentielles encore. Ces pensées intimes sont au cœur du combat du malade, de ses doutes et de ses victoires. A la lecture de cet ouvrage prenant et drôle, on apprend le quotidien d’une maladie encore trop ignorée.
L’AVF est un mal social, physique et moral
Christophe Thoreau dépeint cette maladie comme un mal antisocial puisqu’elle s’accompagne de la honte d’exposer cette paralysie du visage à ses proches. Lors des crises, il décrit son visage comme une « trogne de fou, déformée comme dans un tableau de Francis Bacon, l’œil voilé, les larmes, et surtout cette désespérance qui habille ton regard ».
Le journaliste raconte ses moments d’isolement, assis en tailleur, recroquevillé sur lui-même, en bougeant « la tête de bas en haut tel ces chiens mécaniques qui ont, un temps, peuplé les plages arrières des voitures ». Et Thoreau de conclure que l’AVF est par nature antisociale, « ce qui n’est pas le moindre des dégâts dans une vie d’homme occidental, surtout pendant près de trente ans. Tu es comme un navigateur solitaire sur l’Atlantique ».
La grande force du livre est de rendre compte avec force détails de la douleur extrême générée par la maladie. L’auteur nous fait pénétrer dans les moments de détresse atroce du malade qui « [le] regard dans le vide, le cerveau à l’arrêt, [a] l’impression de quitter le monde, une fois encore. » Pris au piège dans sa douleur, confronté à son inéluctabilité, il se sent « comme un prisonnier avec les briques des murs de sa cellule ».
Tous les moyens sont bons pour essayer d’oublier la douleur : « tu comptes les larges carreaux rectangulaires blancs et bleus de la douche, celle juste à droite en entrant, oui, la première, là, toujours celle-là. » Nous sommes happés dans ce quotidien dont ce mal est partie intégrante : « Il y a donc la douleur et l’idée de la douleur. Jamais l’expression la force des idées n’a aussi bien porté son nom que pour les malades d’AVF. »
Une détresse qui lui semble ne jamais devoir ni pouvoir se finir
Face à cette vie qui se redéfint autour de la maladie, l’auteur évoque les réflexions qui inévitablement occupe son esprit ; « Quand l’AVF ne frappe pas, c’est qu’elle frappera. Et il te faut vivre avec cette notion. Presque un concept qui t’es propre finalement. La puissance de cette pathologie est de hanter ses victimes parce qu’elle engendre un niveau de souffrance qui confine au supplice. La douleur, quand elle est insupportable, devient donc une idée, un sentiment tout du moins : la peur. »
La victime est plongée dans une détresse qui lui semble ne jamais devoir ni pouvoir se finir. La violence des crises, leur fréquence, leur régularité lui semblent implacables : « Tu ne vois pas ce qui pourrait changer ta destinée, parce que de lendemains qui chantent, il n’y en aura pas. Rien pour y croire ».
L’auteur nous livre ses questions les plus sombres : « ‘Elle est où la fenêtre que j’me balance ?’ te dis-tu parfois ». Face à ses doutes les plus profonds et sans réponse, il interpelle le lecteur : « En avoir envie mais ne rien faire, au bout du compte. Est-ce une lâcheté ou du courage ? Mystère. »
L’inflexibilité de l’AVF amène le malade au doute
La permanence de l’AVF, sa régularité et sa fréquence inexorable pousse la victime à se demander, si elle n’est pas elle même responsable de ce qui lui arrive. Après tout, « en baver un bon coup, c’est finalement s’acheter une forme de paix sociale. […] Souffrir, pour ne plus avoir peur de souffrir. » Ce questionnement sur la complaisance du malade ne peut être occulté par celui-ci.
Pour lui, « les faits sont là : têtus et coquins. Il y a des crises que tu n’as pas vu arriver […] Et puis d’autres, plus nombreuses, dont tu étais le dépositaire, otage de ta phobie ». Le regard sur soi peut être impitoyable : « D’où cette question, angoissante : as-tu été, inconsciemment, ton propre bourreau ? » ; et nous renvoie parfois à l’actualité la plus brûlante.
« Alors que tu écrivais ces lignes, le Président de la République a décidé d’accorder une grâce partielle à Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison pour avoir assassiné de trois coups de fusil dans le dos son monstre de mari. Quelque part, tu enviais le geste de cette femme qui avait su se dresser contre l’inacceptable. »
Au poids moral que serait la complaisance envers sa propre douleur s’ajoute la culpabilité à l’égard de la société et des autres. Le remède lui-même est source de tourments : « entre ton rôle de boulet potentiel pour la Sécu si ce médoc tombé du ciel fonctionne […] et ton ignorance sur son efficacité […], tu quittes la pharmacie dans un état de mélancolie certaine. »
Des années de douleurs violentes, de complications et d’échec pèsent sur l’esprit et l’attitude du malade. « Ça met une jolie patine aux sentiments, la mélancolie. Ce n’est pas que tu es triste, non, il y a un peu de légèreté et de réconfort, car tu veux y croire, mais dans le même temps, tu n’en peux plus que rien ne se fasse dans la facilité. »
Ce livre reste avant tout l’histoire d’un combat sur la route de la guérison
Christpophe Thoreau détaille la souffrance face à l’isolement social qu’implique l’AVF. Il revient aussi sur la solitude éprouvée face à cette maladie rare du fait de l’attitude de nombreux médecins ; même si l’écrivain garde son sens de l’humour, non dénué de mordant : « Si tu devais réunir en une fois tous ceux croisés en trente ans d’AVF et qui n’ont pas fait avancer le Schmilblick d’un pouce, tu pourrais composer une équipe de rugby. Mais pas sûr qu’elle gagne beaucoup de matches vu la bande de chiffes molles qui la compose. »
Quand, enfin, une docteure plus que compétente et familière de la maladie lui prescrit un médicament efficace, le malade retrouve une forme d’assurance, partielle, progressive, prudente : « [le Sumatriptan] ressemblait bel et bien à la solution, porte ouverte vers une nouvelle liberté, enfin une certaine forme de liberté. L’assurance que dans n’importe quel moment important de ton quotidien, tu n’allais plus être terrassé par une crise ».
Le livre montre comment, peu à peu, la maladie a pu le détourner de tout espoir. Avec ce médicament, celui-ci va progressivement revenir, avec « l’assurance de ne plus souffrir ou alors bien moins ; l’assurance de ne plus avoir peur ‘d’en avoir’« . Ce sont tous les réflexes et les tournures de pensée construit au cours des 30 dernières années de souffrance qui, progressivement, sont à reconstruire.
Ce médicament est donc « l’assurance de ne plus se dire ‘tu n’en as pas eue, elle va donc arriver dans un plus mauvais moment encore’ ; l’assurance de ne plus t’en provoquer ; l’assurance, plus pernicieuse démarche, de t’en déclencher avant de la stopper ; l’assurance de redevenir – en partie – le maître du jeu… »
Une mise à nu d’une sensibilité touchante
Longtemps, il a fallu apprendre à vivre avec cette douleur, imposante, violente, imprévisible et inévitable. Soudain, elle n’est plus là ; plus exactement, il est possible de la révoquer. L’auteur, malgré un langage cru qui pourrait mettre à distance, se livre à une mise à nu d’une sensibilité touchante.
« C’est très étrange, angoissant même, de se retrouver ainsi nostalgique d’une situation d’horreur. […] Les traces sont là et que tu le veuilles ou non, cette maladie t’a marqué au fer rouge et t’accompagnera ta vie entière. Comme un être aimé, disparu, dont le souvenir ne s’évanouira jamais malgré l’impitoyable marche du temps. L’absence de l’autre est une cicatrice. Qui deviendra un baume. »
Christophe Thoreau, La vie est un sport individuel, édition Fauves, 2018, 119 pages, 15€.
{"type":"Banniere-Basse"}