Harvey Pekar ne parlait que de lui dans ses textes, mais se faisait dessiner par d’autres. L’intégrale des mises en images conçues par son ami Robert Crumb est éditée. Une initiation idéale.
Harvey Pekar décédait au début de l’été, une oeuvre de bande dessinée en legs. Singulières par leur forme, obsessionnelles par leurs thèmes, ses confessions autobiographiques soulevaient, derrière leur caractère anecdotique, inlassablement la même question : pourquoi écrire sur soi ? Les raisons abondent, à l’évidence. Coucher sa vie sur papier relève pour les uns de l’exhibitionnisme, pour les autres du désir de dresser un bilan ; quelquefois il s’agit de témoigner de l’horreur, à d’autres moments de graver dans le marbre un instant précieux.
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Mais qu’importe finalement ces motifs à la surface : l’autobiographe saisit en définitive toujours la plume pour se réapproprier l’image qu’il a de lui-même. Or curieusement pas Harvey Pekar. Cas rare, Pekar n’eut de cesse de recourir à l’écriture autobiographique pour offrir son égocentrisme en pâture à des dessinateurs chaque fois différents. Et rien que pour ça, pour ce masochisme étrange qui consista, chez cet autobiographe, à mettre en scène l’abandon de l’objet le plus cher, l’abandon de sa propre image, la série des American Splendor mérite que l’on s’y attarde sérieusement.
Dans ce recueil plus particulier titré Harv & Bob, les éditions Cornélius ont compilé les planches enluminées uniquement par le célèbre Robert Crumb, ami de toujours, à l’origine de la vocation d’auteur de bande dessinée de Pekar. Le recueil est ainsi très représentatif des premières années d’écriture. Pekar s’y dépeint obsessionnel, anxieux et dépressif, collectionneur de disques de jazz, à la recherche de bons plans pour gratter quelques dollars…
En termes de mise en scène, il accentue le caractère anecdotique des événements qu’il confesse pour mieux en cacher la profondeur identitaire – plus tard un cancer changera la donne. C’est également l’époque où il s’amuse des codes autobiographiques, comme dans cette suite de réflexions comiques sur les Harvey Pekar homonymes découverts dans le bottin, qui interroge en filigrane son individualité, l’unicité de son être (de « la pureté du nom » parle-t-il à un moment). Seul bémol, peut être : ce qui constitue pour les amoureux du dessin de Robert Crumb un avantage, à savoir une intégrale des récits auparavant éclatés, pourra mécontenter les amateurs d’Harvey Pekar, qui depuis si longtemps ont l’habitude de voir la silhouette de leur héros passer de main en main pour mieux se faire maltraiter.
Les profanes, quant à eux, ne peuvent rêver meilleure porte d’entrée dans cet univers, son écriture aux variations nombreuses, par nature inventive, fondatrice dans l’histoire de la bande dessinée underground américaine.
Harv & Bob (Cornélius), traduit de l’anglais par Jean-Pierre Mercier et Jean-Paul Jennequin, 128 pages, 21€
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