En 1889, la première femme reporter, Nellie Bly, entamait un tour du monde pour défier le Phileas Fogg de Jules Verne et son tour du monde en 80 jours. Le récit de son périple a la lenteur et le charme désuet des trains à vapeur.
Figure culte aux Etats-Unis, Nellie Bly fut la première femme grand reporter, la première aussi à pratiquer le journalisme dit “en immersion” à la fin du XIXe siècle. Il aura fallu plus d’un siècle pour voir ses textes traduits en français, et ce n’est que l’année dernière qu’on découvrait son sidérant Dix jours dans un asile – une plongée dans le quotidien d’un hôpital psychiatrique, où Bly réussit à pénétrer en se faisant passer pour folle.
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Son autre reportage important paraît aujourd’hui. En 1889, Nellie Bly commence son tour du monde avec pour but de battre un personnage de fiction, le Phileas Fogg de Jules Verne, qui fit le tour du monde en 80 jours. Elle part seule, vêtue d’une seule robe et armée d’un seul sac à main.
Voyage dans le temps
Lu aujourd’hui, où le tour du globe s’effectue en moins de 72 heures, son Tour du monde en 72 jours ne nous offre pas seulement la possibilité d’un déplacement géographique – ce qu’il dut offrir aux lecteurs de l’époque n’ayant pas l’occasion de voyager –, mais d’accomplir un voyage dans le temps.
Ce temps d’avant l’avion, où l’on ne disposait que de trains à vapeur et de paquebots pour aller d’un pays à l’autre. Un temps où le temps lui-même s’étirait au point de devenir une aventure, faite de rencontres hautes en couleur, d’intempéries, de surprises.
Moins passionnant que son précédent reportage, son Tour du monde… charme par sa désuétude même, et par ses remarques aussi naïves qu’insolites : “A Port-Saïd et à Colombo j’avais pu facilement me réfréner d’acheter un petit garçon ou une petite fille, mais devant le singe je fondis littéralement.”
Tintin féministe
Nellie Bly ne se départ jamais de son ironie, et c’est peut-être parfois sa distance dénuée d’empathie avec les habitants des pays visités – réduits à des figurants bizarres, seulement exotiques, même les plus pauvres –, forte de son statut de Blanche américaine privilégiée, qui pourra agacer.
Restent quelques moments de bravoure : un paquebot pris dans une tempête lors de la mousson, une nuit de Chine magique avec lanternes et pousse-pousse, la visite d’un quartier de lépreux… On se laisse emporter par l’aventure de cette Tintin en jupons, féministe avant l’heure, qui gagnera haut la main son pari, sous les applaudissements de Jules Verne lui-même.
Le Tour du monde en 72 jours (Editions du Sous-sol), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen, 172 pages, 16 €
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