Dans « Un empêchement, » le rédacteur en chef de « La Nouvelle Revue française » Michel Crépu revient sur la fameuse affaire Fillon. Celui qui était directeur de la Revue des deux mondes au moment de la publication des notes de lecture de Penelope Fillon en profite surtout pour réfléchir au surgissement d’un “nouveau monde”.
François Fillon assiste-t-il toujours aux dîners du Siècle ? Nous n’y avons pas notre rond de serviette donc impossible à dire, reste que, il y a quelques temps, l’ex-Premier ministre y traînait son sérieux et sa coupe soignée entre le plat, le dessert, et l’entre-soi de discussions sur l’état de notre société. “Il partait toujours de bonne heure, il avait du travail, on le comprenait, on l’applaudissait, on l’admirait discrètement, tandis qu’il rejoignait sa voiture, de s’être octroyé une petite heure de conversation prélevée sur le sens de l’Etat (…) Pour cela, François Fillon deviendrait un jour président de la République.”
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Ces mots sont ceux de Michel Crépu, rédacteur en chef de La Nouvelle Revue française, qui, dans Un empêchement (éd Gallimard), raconte justement comment Fillon n’est finalement pas devenu notre chef de l’Etat. En cause, le fameux “Penelope gate” auquel le critique littéraire a eu affaire de près : outre son emploi présumé fictif d’attachée parlementaire, Penelope Fillon toucha une rémunération de 100 000 euros pour une collaboration de vingt mois à la Revue des deux mondes… Alors même que seules deux petites notes de lectures témoignent de son travail pour la publication, détenue par Marc Ladreit de Lacharrière, un ami de l’ancien Premier ministre. Le directeur de la revue, à l’époque : Michel Crépu.
“Fillon n’a pas été victime d’un complot du dehors, c’est lui et lui seul qui a allumé le feu à son propre bûcher”
Problème : ce catholique modéré affirme ne pas être au courant, et avoir appris tout cela par voie de presse. “Le fait est que je n’ai jamais rencontré Penelope Fillon. D’aucune manière (…) A vrai dire, la seule fois où nous fûmes en présence a été ce moment où, dans les locaux tristounets de la Brigade financière, on me proposa de prendre connaissance du contrat qui faisait d’elle une “conseillère littéraire” pour la modique somme de 5000 euros mensuels bruts.” Celui qui, fin 2016, votait pour François Fillon à la primaire de la droite – “à mi-chemin du FN et des centristes, de la place pour un conservatisme libéral éclairé à la française été possible” – ne lui donnera donc pas son bulletin pour le scrutin présidentiel. Le passionné de Formule 1 ne sera finalement pas élu.
Pourtant, de l’avis de celui qu’on entend régulièrement dans « le Masque et la plume », si Fillon avait eu le “courage saint de bon chrétien qu’il était”, le courage d’assumer, “d’être seul devant tout le monde” et de ne pas se retrancher dans le déni, il serait aujourd’hui Président de la République. “Fillon n’a pas été victime d’un complot du dehors, c’est lui et lui seul qui a allumé le feu à son propre bûcher. L’affaire Fillon, ce pourrait n’être rien d’autre que cela : l’histoire d’une vertu faible poursuivant son chemin dans les profondeurs jusqu’à l’éclatement au vu de tous.”
Un “changement d’époque”
Mais toute cette affaire n’est au final qu’un prétexte permettant à l’auteur de réfléchir plus largement à ce qu’il considère être un “changement d’époque”. “Le “personnage” [de Fillon] ne m’intéresse pas. Mon vrai sujet, c’est la signification d’un concours de circonstances où son nom apparaît.” L’avènement d’un “nouveau monde” en somme, où “le trésor de la conversation”, la nuance et la complexité n’existent plus selon lui et où, “peut-être pour la première fois de son histoire politique contemporaine, la France ne sait absolument pas où elle en est”. Un nouveau monde où il suffit “de se dire “progressiste” au lieu de “socialiste” pour arriver à ses fins, avec un “avantage précieux : progressiste ne voulait rien dire, alors que socialiste voulait affreusement dire quelque chose dont on ne voulait décidément plus.” – NB : outre Macron, François Hollande en prend largement pour son grade dans l’essai.
Ainsi, écrit Michel Crépu : “Il est singulier que l’écroulement simultané des deux grandes puissances idéologiques familiales, socialisme et libéralisme, coïncide d’aussi près avec à la fois la chute de Fillon et l’apparition d’un ludion, tenant tout à la fois de Machiavel et de Harry Potter à l’Elysée-bar. Tandis que s’effondre l’arche qui reliait la droite à la gauche selon la courbe organisatrice d’une vision foncièrement conflictuelle de l’histoire humaine, prélude à l’avènement d’un monde meilleur, voici que surgit le lutin d’après le “temps des prophètes”.”
Michel Crépu, Un empêchement – Essai sur l’affaire Fillon, Gallimard, 2018.
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