En s’emparant de la prostitution juvénile ou de la transidentité, Keigo Shinzo et son aîné Hisashi Eguchi font bouger les lignes.
Dans sa précédente série, Tokyo Alien Bros., le mangaka Keigo Shinzo envoyait sur Terre deux extraterrestres qui jouaient le rôle d’étudiants pour mieux analyser le comportement des indigènes et l’intérêt (pour leur race) à s’installer sur cette planète. Cette fois-ci, il ne convoque aucun artifice de science-fiction et peu d’humour pour jeter un regard cru sur l’humanité et sa moralité.
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Mauvaise Herbe s’ouvre ainsi sur la vision de jeunes filles mineures se prostituant dans une maison close clandestine camouflée en salon de massage. A la suite d’une descente de police, le lieutenant Yamada croit reconnaître sa fille décédée en l’une des prostituées, Shiori. Plus tard, il la recroise sous la pluie, hébétée, après que sa mère l’a mise dehors.
A travers la figure de Shiori, Keigo Shinzo s’attaque à un sujet douloureux et délicat à aborder : les enfants victimes d’abus. C’est pourquoi il réalise un numéro d’équilibriste, exposant sans filtre la vulnérabilité d’ados à la dérive face aux prédateurs sexuels, insistant sur la solitude des protagonistes principaux sans que son récit ne sombre dans le désespoir le plus total.
Shiori trouve ainsi un peu de réconfort auprès d’un chat aussi errant qu’elle, avant que Yamada ne tente de lui offrir sa compassion et son soutien. Graphiquement, l’auteur maîtrise ses effets et la tension narrative, se concentrant sur les regards et les interactions. Des séquences plus contemplatives – Shiori fascinée sur une double page par le vol d’un oiseau – nous projettent dans les pensées des personnages et apportent un contrepoint salutaire aux scènes plus âpres.
Stop !! Hibari-Kun !, datant des années 1980, aurait pu être elle aussi une autre série sur le malaise d’une partie de la jeunesse japonaise. Hisashi Eguchi y raconte comment Hibari, le fils d’un chef yakuza, se bat contre lui et sa vision de la virilité pour vivre comme il l’entend, c’est-à-dire en fille. A l’extérieur et en particulier au lycée, tout le monde tombe d’ailleurs sous son charme. Si bien que son père a beau multiplier les injures homophobes et ses sœurs protester, Hibari tient bon et cherche à séduire le nouvel arrivant dans la maison, Kôsaku.
Une héroïne loin des clichés
Si Stop !! Hibari-Kun ! a obtenu du succès lors de sa publication dans Weekly Shonen Jump, revue tournée vers le lectorat adolescent masculin, c’est en proposant un modèle d’héroïne loin des clichés (d’où l’intérêt des jeunes lectrices). Car Hibari, à la fois sexy et badass, inflige des raclées aux yakuzas, cartonne dans tous les sports, chante et joue de la basse. Surtout, la violence des relations entre Hibari et son père est désamorcée par le genre choisi, celui de la comédie sentimentale burlesque.
Les répliques fusent, les malentendus dignes d’un vaudeville nourrissent l’intrigue et les gags efficaces peuvent se répéter, comme l’attirance pour Hibari que Kôsaku cherche à réfréner. Quant au dessin d’Hisashi Eguchi, il passe en une page de la caricature (les yeux écarquillés cartoonesques) à la gravure de mode pop art. Transgressif et réjouissant, ce manga n’a pas perdu de sa fraîcheur.
Mauvaise Herbe, volume 1 de Keigo Shinzo (Le Lézard Noir), traduit du japonais par Aurélien Estager, 204 p., 13 €
Stop !! Hibari-Kun !, volume 2 d’Hisashi Eguchi (Le Lézard Noir), traduit du japonais par Aurélien Estager, 272 p., 18 €
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