L’œuvre de Kafka masquerait la réalité des sujets de droit, suggère le sociologue Geoffroy de Lagasnerie dans son essai “Se méfier de Kafka”
Il faudrait d’abord prendre un peu de recul sur le titre de l’essai de Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka. Car plutôt que l’apparent procès littéraire de l’auteur du Procès, le sociologue invite simplement à se distancier de la lecture des textes de Kafka, centrés sur la description anxiogène du pouvoir. Analysée récemment par son biographe Reiner Stach, l’œuvre de Franz Kafka reste en effet une clé décisive pour éclairer la machinerie bureaucratique et punitive de l’État.
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Le sujet kafkaïen est pris dans les filets d’un pouvoir diffus, dont l’absence de règles fixes est source d’angoisse. “Kafka apparaît comme une sorte de passage obligé pour tous les philosophes qui se penchent sur la question de la Loi ou de la Justice, comme si une théorie du pouvoir pouvait d’autant plus fonder sa véracité qu’elle était capable de s’appuyer sur une lecture de Kafka pour confirmer ses intuitions”, observe Geoffroy de Lagasnerie. Or, soutient le sociologue, nous devrions nous méfier de la séduction qu’exercent sur nos esprits contaminés les textes kafkaïens, parce qu’ “ils ont très largement tendance à ratifier, renforcer, légitimer des formes mystifiées d’appréhension du pouvoir et de l’État”.
Un monde mythologique
Kafka décrit plus un “monde mythologique” qu’il ne pense la vie concrète des sujets de droit qui sont en réalité des êtres “surexposés à une quantité infinie de petits pouvoirs ordinaires”. Associer le pouvoir à l’arbitraire et à l’indéterminé, c’est prendre le risque de “favoriser une insensibilité à tout ce que la production du contrôle doit à des logiques ordinaires et routinières”. Car c’est l’excès de droit et de normes qui régit surtout nos vies. “Dire comme Kafka ou à la manière de Kafka que le pouvoir est problématique en associant cette caractéristique au fait qu’il est imprévisible, anarchique, désordonné, que le sujet suffoque devant un droit qui ne cesse de se contredire, c’est poser en fait, implicitement, la positivité de la situation inverse, et donc présupposer qu’un ordre légal stable et ordonné ne serait pas problématique”.
En nous faisant peur avec ses descriptions d’un monde où la loi est invisible et indéterminée, Kafka “crée chez nous un désir de vivre dans un régime où la loi serait écrite, fixe et publique – c’est-à-dire de vivre dans le monde où nous vivons déjà”. C’est le monde tel qu’il existe, où la loi sert plus la volonté de contrôle que l’autonomie des individus, qu’il faudrait craindre et contester, selon Lagasnerie.
Geoffroy de Lagasnerie, Se méfier de Kafka (Flammarion) 180 p, 18 euros. En librairie.
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