Le journal du dandy photographe ressuscite la vraie Garbo : son naturel, sa malice, ses shorts et ses crudités. Un document rare.
C’est d’abord le titre qui attire, Les Années heureuses, surtout en ce moment – puis les yeux de Greta Garbo. Introuvable, le premier volume du journal (1944-1948) du photographe mondain Cecil Beaton est enfin accessible. Beaton est le genre de personnage irritant qui est toujours au bon endroit au bon moment et avec les bonnes personnes. Après avoir photographié ses amis les Bright Young Things, jeunes gens dans le vent des Années folles, il fera d’inoubliables clichés de Londres pendant le Blitz et l’après-guerre.
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On croise le général de Gaulle et Winston Churchill, Jean Cocteau fumant de l’opium et Picasso chez lui, Anita Loos (hilarante quand elle parle de son mari jaloux de son succès), avant qu’un personnage envoûtant ne fasse son apparition et n’absorbe tout le temps, l’esprit et le reste du journal de Beaton.
Greta Garbo n’a pas tourné depuis plusieurs années (son dernier film, La Femme aux deux visages, est sorti en 1941) quand Beaton la rencontre à New York en 1946. Fasciné, obsédé, il passera les deux années qui suivent à tenter de la conquérir, puis à la perdre, à enfin la reconquérir – il en parlera toujours comme d’une longue bataille, finalement perdue.
La magie opère : celle qui fut la plus grande star du cinéma se remet ici à vivre dans ses moindres gestes, naturelle jusqu’à l’émotion, malicieuse et drôle, pleine d’énergie, riant comme une enfant dans Central Park, les cheveux au vent. Elle l’enverra promener dès qu’elle se sentira trahie – il vendra tous ses clichés d’elle à Vogue, alors qu’elle n’avait donné son accord que pour un seul. Elle acceptera pourtant, peu à peu, de le revoir.
Obsédée du jardinage
Les meilleures pages sont celles consacrées à la star dans sa maison de Beverly Hills en mars 1948, où pendant deux semaines le photographe va se rendre tous les jours.
Grâce à son écriture photographique, qui capture les détails les plus signifiants ou étonnants, apparaissent le jardin tout blanc d’une Divine obsédée par le jardinage, réveillée à l’aube pour arracher les mauvaises herbes, pour qui le seul shopping intéressant est d’acheter des sacs d’engrais ; sa beauté délicate, ses shorts sales, son « divan de bronzage », ses crudités au déjeuner, son goût pour les grandes balades sur la plage ou en montagne, sa peur panique quand sa voiture ne veut plus redémarrer, son dégoût de l’indiscrétion, son ennui dans les dîners mondains à Hollywood, qu’elle camoufle sous sa séduction.
Si une éventuelle relation charnelle n’est pas ici confirmée, ce qui devient certitude est l’intention de Garbo de revenir au cinéma. Mais les projets échoueront. « Eh bien, il semble que le Tout-Puissant ne veuille pas que je fasse un film : chaque fois que je crois que je vais recommencer, il y a quelque chose qui cloche », disait-elle, stoïque, avant de retourner cultiver son jardin.
Les Années heureuses de Cecil Beaton (Les Belles Lettres), traduit de l’anglais par Robert Latour, 348 p., 13,90 € Disponible en version numérique
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