Devenu culte outre-Atlantique, le premier roman de Grace Krilanovich qui raconte l’épopée sous drogue d’une bande de faux vampires paraît enfin. Portrait d’une jeunesse emblème de la contre-culture sur fond de punk hardcore.
Septembre 2010. Dans les plus gros cinémas, on peut encore attraper une séance du troisième film de la saga Twilight. Au même moment, le premier roman de Grace Krilanovich fait son apparition sur les tables des librairies américaines. Une autre histoire de vampire, une autre narratrice paumée.
Mais chez Krilanovich, les vampires ne scintillent pas – d’ailleurs, ils ne sucent pas vraiment de sang non plus. Ils lèchent la sauce lyophilisée de paquets de nouilles qu’ils éventrent dans les allées glauques de supérettes, sur le bord de l’autoroute. L’Amérique des années 1990 où vivent ces ados qui se rêvent en vampires est endormie – elle rejette dans ses marges les gamin·es des foyers, qui se créent de nouvelles familles dysfonctionnelles. “Nous n’avons aucun but, écrit Krilanovitch, nous ne croyons en rien. En fait si, nous croyons en la méthamphétamine.”
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Ten Years After
Il aura fallu plus de dix ans pour que ce récit soit amené à notre attention par la toute jeune maison d’édition Le Gospel. Il paraît que l’autrice a imaginé la trame de son roman en tirant des cartes au hasard. Ce qui, à la lecture, n’est pas très étonnant. Elle mélange dans un même geste fiévreux la réalité de l’existence de sa narratrice – la drogue, la prostitution, la pauvreté – avec une mythologie qui se complexifie au fil des pages – la conquête de l’Ouest dans les années 1840, les vampires et des visions hallucinatoires “oranges et malsaines”. Krilanovich a une manière très singulière de faire craquer le tissu de la fiction et de glisser, dans ses béances, d’incroyables trouées poétiques et trouvailles stylistiques.
Le fil rouge, c’est l’émergence d’une scène hardcore dont elle décrit toutes les pulsations sonores. La narratrice n’adule pas pour autant ces hommes qui se scarifient et repoussent les limites du son. Krilanovich les observe avec un humour étrange qui éloigne toute tentation d’idéalisation. Elle sait bien que son héroïne, comme les riot grrrls qu’elle croise furtivement, n’a pas le luxe d’oublier qu’elle a un corps. Alors comme le faisait Kathy Acker dans son roman culte Sang et Stupre au lycée (éd. Laurence Viallet), Krilanovich expérimente la transgression non pas sur scène, mais dans l’écriture de ces corps qui cherchent à hiberner, à muter, à s’oublier. C’est parfois too much – mais c’est toujours fascinant.
Ce qui vit la nuit de Grace Krilanovich, paru aux éditions Le Gospel, traduit de l’anglais (États-Unis) par Janique Jouin de Laurens. 240 p., 20 euros. En librairie depuis le 7 mars.
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