Fondé en 1960 pour lutter contre la guerre d’Algérie, dissous en 1989, le Parti socialiste unifié (PSU) a été précurseur à gauche sur de nombreuses thématiques écologiques et sociales. L’historien Bernard Ravenel, qui en a été membre du début à la fin, en retrace l’histoire dans un livre passionnant. Entretien.
Et si le Parti socialiste unifié (PSU) était encore l’avenir de la gauche ? Dans le fond, c’est la question qui ressort de la lecture de Quand la gauche se réinventait. Le PSU, histoire d’un parti visionnaire (1960-1989), de Bernard Ravenel. (éd. La Découverte).
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Agrégé d’histoire, membre du PSU de sa fondation en opposition à la guerre d’Algérie en 1960 à sa dissolution en 1989, celui-ci raconte de l’intérieur la trajectoire singulière de ce parti en avance sur son temps. Des luttes antinucléaires à l’autogestion, en passant par les luttes féministes ou encore celles des travailleurs immigrés, le PSU s’est illustré sur de multiples terrains, en subordonnant toujours la théorie à la pratique.
S’il n’a pas réussi à dépasser la contradiction entre parti de lutte et parti de gouvernement, il a cependant imposé des thèmes dans le débat public, voire même des alternatives qui peuvent encore inspirer la gauche. En dépit de son association à Michel Rocard, qui l’a longtemps incarné médiatiquement et qui s’est rallié à l’acceptation du marché, le PSU a semé des graines de révolte que Bernard Ravenel appelle à faire germer. Entretien.
En quoi le PSU était-il un parti « visionnaire » ?
Bernard Ravenel – Le PSU a été visionnaire à plusieurs égards. D’abord nous avons constaté que le socialisme n’existait pas, ni dans le système soviétique, ni dans les politiques sociale-démocrates. Il n’y avait pas encore de socialisme réalisé sur terre. Nous avons donc voulu transformer cette vision négative en vision positive : comment construire un socialisme alliant démocratie et liberté dans un mouvement ouvrier rénové ?
Nous avons également été précurseurs sur le thème du nucléaire. Dès sa fondation en 1960, le PSU s’est positionné contre l’armement nucléaire, grâce à Claude Bourdet, Compagnon de la Libération, vice-président du mouvement Combat et fondateur de L’Observateur (ancêtre de L’Obs, ndlr) . Et nous avons maintenu cette position non-alignée contre toutes les bombes nucléaires, quelles qu’elles soient. Plus tard nous avons aussi été contre le nucléaire civil, dès la construction de la première centrale en 1972, à Fessenheim, sur une zone sismique. Le livre Le Nucléaire contre l’Alsace, sorti en 1977, peut en témoigner. Ce n’est pas Tchernobyl ni Fukushima qui nous ont donné tort.
Enfin, nous avons posé assez tôt la question de la violence politique, que nous avons jugée contre-productive. Bien sûr, nous avons soutenu les mouvements algérien et palestinien, qui usaient de la violence, mais avec une première nuance : nous avons dénoncé le terrorisme. De plus, la critique féministe et la critique écologiste, que nous portions, sont aussi des critiques de la violence – patriarcale et contre la nature. Cette problématique de la non-violence est très importante pour l’avenir. Le grand mouvement du XXIe siècle, les Printemps arabes en Egypte et en Tunisie, s’est fait sans armes. Ils ont manifesté, le régime s’est défendu, et les peuples ont résisté sans armes. La non-violence est une norme de lutte qui va devenir générale pour le XXI siècle. C’est ce qu’on appelle la désobéissance civile de masse. Il y a un lien entre non-violence et exigence démocratique.
Pourtant vous racontez dans votre livre qu’après Mai 68 plusieurs courants du PSU étaient favorables à la lutte armée…
C’est Michel Rocard qui m’a raconté cela. Alain Badiou était au PSU à l’époque, et il a développé l’idée dans des stages étudiants que le mouvement de Mai avait été vaincu parce qu’il n’a pas osé « aller jusqu’au bout de la violence ouvrière ». Il fallait donc prévoir une insurrection armée à ses yeux, et c’était une vision largement partagée au PSU. Mais Rocard n’a pas laissé passer cela, par crainte qu’on finisse comme les Brigades rouges. Il a donc mis cette question à l’ordre du jour du Congrès post-68. Cela a provoqué un débat, qui a débouché sur une remise en cause de la nécessité immédiate de la violence. La lutte armée clandestine s’organise exclusivement entre hommes, avec des commandos militaires qui décident seuls ; la non-violence est à l’inverse civile, et tout le monde participe. C’est une différence qualitative qui a des conséquences démocratiques.
Quand le PSU est fondé en 1960, produit de la fusion d’une scission de la SFIO, de l’Union de la gauche socialiste et du groupe communiste dissident Tribune du communisme, l’opposition à la guerre d’Algérie les fédère. Mais partageaient-ils pour autant un socle idéologique commun ?
Il est vrai que le ciment du PSU a été la guerre d’Algérie. Le grand mathématicien qui présidait la réunion, Laurent Schwartz, affirme alors que « le PSU est un mariage de raison ». Chacun avait son point de vue, la guerre froide était passée par là, mais une raison supérieure s’est imposée : le refus de la guerre menée par la France contre un peuple colonisé. Se retrouvaient là des personnes venues du PCF – comme moi –, des sociaux-démocrates, des trotskistes, des chrétiens, etc. On avait une culture anticapitaliste en commun, et nous étions des représentants de courants évincés par la SFIO et le PCF. D’ailleurs, juste après la guerre d’Algérie, lors du congrès de 1963, les journalistes se moquaient du PSU car il avait sept tendances. En avril 1962, il dispose d’un socle militant d’environ 20 000 adhérents, qui descendra assez vite à 15 000 du fait du départ de militants qui ne s’étaient engagés que contre la guerre.
C’est alors que s’opère la reconversion du parti autour du socialisme autogestionnaire ?
Il est en germe. Nous voulions marier socialisme réel et liberté, c’est-à-dire pouvoir des travailleurs et liberté, y compris pour les ennemis du socialisme. On ne s’est pas fait aider. Le débat sur l’autogestion a commencé dès 1963. Nous avions un Centre d’études socialistes, dont les débats ont été retranscrits dans des cahiers, et l’un d’eux portait sur l’autogestion. Les sociologues Pierre Naville et Serge Mallet, Pierre Mendès-France et même Ernest Mandel, l’un des principaux animateurs de la IVe International trotskiste, y ont participé. C’était un débat théorique. Il n’inondait pas encore le parti. En 1968 la CFDT l’a mis sur la table, et le PSU a rebondi. Le 6 mai 1968, les jeunes du PSU ont d’ailleurs diffusé le mot d’ordre : « L’université aux étudiants ! L’usine aux travailleurs ! » On a mis trois ans à aboutir à une réflexion approfondie et homogène.
Mai 68 a-t-il contribué à la démission du PSU de Pierre Mendès-France ?
Mendès était le Joker du PSU. S’il se prononçait pour la dissolution de l’Assemblée nationale et pour des nouvelles élections, on risquait de gagner, car à l’époque tout s’effondrait, il y avait un vide du pouvoir. Le PSU a organisé une réunion le 25 mai, alors que les négociations s’ouvraient rue de Grenelle, pour tenter de définir une stratégie politique commune avec différentes composantes du mouvement. Cette réunion informelle a eu lieu dans un appartement privé. Il y avait Rocard, quatre syndicalistes membres du PSU, l’économiste André Barjonet qui venait de la CGT, Pierre Mendès-France et le leader étudiant Jacques Sauvageot. On avait une représentativité forte. Le problème était de persuader PMF de se poser en recours. On l’a poussé, mais il n’a pas voulu. Rocard lui a présenté un projet de programme de transition très radical, trop radical pour Mendès. Son refus est définitif. J’en ai parlé ensuite avec Stéphane Hessel, qui était au PSU et qui était mendésiste. Il m’a dit : « On en a beaucoup parlé, ce n’était pas mur ». Mais je pense qu’on aurait gagné les élections.
La CFDT a été fondée en 1964. Comment s’est établi le lien entre ce syndicat et le PSU ?
Les ouvriers de la CFTC [centrale syndicale chrétienne, ndlr] qui se battaient pour la déconfessionnalisation, et qui ont fondé la CFDT, étaient au PSU. C’était le cas d’Edmond Maire par exemple. Le PSU n’est pas simplement un parti, mais une mouvance très large. Ce qui faisait sa force c’est que le militant PSU avait trois cartes : politique, syndicale et associative. De plus, en 1964, la CFDT adopte à nos yeux un « socialisme de doctrine » adapté à la seconde moitié du XXe siècle. Le syndicat a cependant voulu garder son autonomie car nous nous sommes radicalisés. La CFDT avait peur que nous fassions trop de politique dans les entreprises, et qu’on utilise les ouvriers pour critiquer les syndicats.
Est-il trompeur de situer le PSU entre le PCF et le PS sur l’échiquier politique ?
Absolument, car il était beaucoup plus à gauche. Avant 1968, cette image était relativement juste. Le PSU cherchait une voie socialiste qui n’apparaissait pas comme immédiatement révolutionnaire, il essayait de comprendre le nouveau capitalisme. Mais après 1968, le PSU semblait plus révolutionnaire que le PCF, qui voulait augmenter les salaires, sans penser au changement de pouvoir. En 1968 la CFDT demandait au moins une augmentation du pouvoir syndical, comme première étape du pouvoir ouvrier.
Ce « pouvoir ouvrier » s’est manifesté plus tard, en 1973, dans la lutte des ouvriers de l’usine Lip, au cours de laquelle le PSU était très présent…
Lip fait en effet partie des luttes qui ont été indépendantes du PCF. Le PSU était favorable à la création d’une coopérative de production, avec auto-organisation ouvrière de la production. D’autres voulaient que ce soit une régie. Les ouvriers de Lip, eux, voulaient un patron. Rocard regrette d’ailleurs que le projet de coopérative n’ai pas été choisi, il me l’a dit. On a pensé que ces luttes pouvaient alimenter un programme de gouvernement.
Comment avez-vous procédé ?
Par exemple, la lutte du Larzac posait la question de l’armée et celle du contrôle de la terre par les paysans. Bernard Lambert, le syndicaliste paysan révolutionnaire, membre du PSU, posait cette question. Cela a été le fondement du syndicalisme paysan de gauche, qui s’exprime aujourd’hui dans la Confédération paysanne. Notre programme de gouvernement comprenait donc l’abandon de ce projet et une autre politique pour la terre. Sur ce plan on a gagné : le premier point du programme de Mitterrand a été d’abandonner ce projet. D’ailleurs Mitterrand est venu au Larzac : il a été accueilli par des pierres, et a été protégé par le SO du PSU et des maos, ce qui est plutôt cocasse.
On a gagné aussi la lutte contre la centrale nucléaire de Plogoff, entre 1978 et 1981. C’était une demande dans notre programme. Mitterrand a d’ailleurs été invité par le Mouvement pour le désarmement, la paix et la liberté (MDPL), il a fait un discours extraordinaire contre l’armement nucléaire. On sait ce que c’est devenu…
Vous écrivez dans votre livre que le PSU « n’a pas réussi à être à la fois un parti de lutte et de gouvernement ». Est-ce une contradiction indépassable ?
Le PSU voulait être l’un et l’autre. On estimait qu’il n’y avait pas de changement possible sans lutte sociale, et que le PSU devait être le représentant politique des luttes. Le problème c’est qu’on a pensé trop tard la question du pouvoir. Quand la gauche est arrivée au pouvoir, nous nous sommes divisés en deux, entre le courant dogmatique, qui était contre la démocratie libérale représentative, et le courant opportuniste qui voulait avoir des positions de pouvoir. Cela a déchiré le PSU. Cette contradiction nous a tués.
Le fait qu’Huguette Bouchardeau soit entrée au gouvernement en 1983 en tant que secrétaire d’Etat à l’Environnement sans remettre en cause la politique de rigueur a été problématique ?
Cela a provoqué de nombreux débats. On a été au gouvernement avec elle, mais nous n’avons pas été assez en liaison avec les luttes sociales. Nous n’avons pas su mener des luttes puissantes pour changer la politique. La crise a été ouverte au PSU par sa déroute historique aux européennes de 1984. On a mesuré lors du XVe congrès national à Bourges les dégâts causés par le retard pris par le PSU dans sa réflexion sur le pouvoir, provoquant à la fois les dérives opportunistes et les réflexes dogmatiques. Dans sa contribution, Claude Bourdet, figure emblématique du PSU, est sans concession : « Il y a une contagion du pouvoir et, à part quelques bêlements, nous avons servi de caution, c’est tout ». Finalement la résolution qui obtient la majorité relative de 42 % des voix affirme que « le parti doit retrouver son autonomie par rapport au gouvernement ».
Comment analysez-vous le départ de Michel Rocard du PSU ?
Rocard a espéré que le PSU se substituerait à la SFIO après Mai 68. Entre 69 et 72, il a tenté de canaliser son évolution à gauche, pour qu’il se présente comme une force capable de concurrencer à terme la SFIO, qu’il estimait incapable de se renouveler. Le problème pour Rocard c’était la représentativité électorale du PSU. En 1973, le PSU obtient seulement 500 000 voix aux législatives. Lors du compte-rendu des résultats au bureau national, Alain Richard – devenu plus tard ministre de la Défense – estime qu’« avec ce résultat, on peut dire que le PSU n’a aucun avenir électoral ».
A la suite, Rocard a donné une interview à Témoignage chrétien qui a fait beaucoup de bruit. La phrase qui fait événement est la suivante : “Si le PS fait des choix nets pour un socialisme autogestionnaire, nous saurons en tirer les conséquences.” On parle alors de trahison. Le PS tente d’ailleurs de récupérer Rocard lors d’une réunion qui regrouperait le PSU, le PS et la CFDT, pour faire un grand mouvement socialiste. Ça a été les “Assises du socialisme”, en 1974. On voulait bien débattre, mais pas adhérer au PS. Cela n’a pas été admis par les organisateurs. Rocard a décidé de participer tout de même. Il a quitté le PSU peu de temps après, et Mitterrand n’a rien lâché sur ce qu’était le PS.
Y-a-t-il des héritiers du PSU dans le paysage politique actuel ?
Oui, il y en a chez les Verts. Brice Lalonde était membre du PSU. Mais les écologistes ne lient pas assez luttes environnementales et socialisme. Le Parti de Gauche a essayé de le faire avec l’éco-socialisme, même si Jean-Luc Mélenchon n’a pas une culture écologiste, mais cette réflexion n’a pas été suivie de débat public. J’ai demandé à Rocard ce que le PS avait hérité du PSU. Il m’a dit que sur la question des femmes, Yvette Roudy – qui a signé l’appel contre le sexisme des 17 ex-ministres – et Colette Audry, militante féministe, ont fait évoluer le PS. Mais sur l’autogestion, rien. Quant au PCF, notre culture est trop opposée à la sienne.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Quand la gauche se réinventait. Le PSU, histoire d’un parti visionnaire 1960-1989, de Bernard Ravenel, éd. La Découverte, 384 p., 14,99 €
Le PSU s’affiche, collectif, éd. Bruno Leprince, 7€
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