Vous ne savez plus quoi faire pour ne rien faire. Suivez les conseils de Robert Benchley, rédacteur au New Yorker dans les années 30 et détenteur d’idées très précises sur la question.
A quand remonte votre dernier trajet au-delà de la porte de Vanves ? Votre dernière beuverie en appartement ? Votre ultime RTT ? Un mois ? Trois mois ? Trois ans ? Il faut se rendre à l’évidence : désormais, votre agenda rivalise dangereusement avec ceux d’Aurélie Filippetti et Stéphane Le Foll réunis. Vous êtes dé-bor-dé.
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Vos rêves de grasses mat jusqu’à 15 heures : envolés ; de nuits blanches à s’enfiler la quatrième saison de Mad Men : enterrés ; de fugue impromptue à Majorque avec un bel hidalgo : caduques pour cause de réunion dans moins d’une heure. Il faut réagir. Pour remédier à cette tragédie, renouer avec la glande en CDI, on se procurera de toute urgence les écrits de Robert Benchley. Ce prophète, né en 1889, pilier du New Yorker dans les années 30, avait prédit le surmenage moderne en rédigeant un recueil à la gloire du farniente.
Un premier texte intitulé « Comment venir à bout de tout ce qu’on doit faire » (attention, titre trompeur) constitue une bonne mise en jambes pour s’initier à la procrastination. Soit un article pour un journal à rédiger dans les plus brefs délais. L’auteur préconise d’emblée le choix d’un sujet improbable sur lequel vous ne détenez aucune expertise. Exemple : l’art de charmer les serpents. A partir de là, il devient enfantin d’engager une série d’actions repoussant la rédaction de votre article tout en gardant « une conscience complètement pure ». Dans l’ordre : 1) Se plonger dans une série d’ouvrages animaliers que vous ne possédez pas ; 2) Sortir les acheter et en profiter pour s’offrir une nouvelle coupe chez le coiffeur (bien dans son corps, bien dans sa tête) ; 3) Fixer des étagères aux murs pour y ranger les livres ; 4) S’écrouler de fatigue dans son lit et repousser l’article au lendemain.
Antiguide de bonne conduite
Pas cossard, lui, pour un sou, Benchley ne s’en tient pas à ce seul et précieux conseil. Son Remarquable, n’est-ce pas ? est une mine d’enseignements pince-sans-rire visant à nous coolifier la vie. Voilà comment cette antiguide de bonne conduite nous indiquera « comment perdre cent mille dollars par an » – texte salvateur rédigé à l’attention de « l’homme d’affaires d’Amérique à l’esprit pratique » – ou de quelle manière user de nos cent milliards de neurones à des fins absurdes : « Idylle encyclopédique » invite à compulser sans limite de temps la dernière édition de l’Encyclopædia Britannica tandis que « Est-ce que les insectes pensent ? » exhorte à se poser des questions débiles.
Pour les plus atteints d’entre nous, fervents utilisateurs de phrases telles que « Je suis sous l’eau/en speed/au fond de la piscine dans mon petit pull marine », le dernier texte, intitulé « Comment je crée », expose un ultime modèle de paresse décomplexée : « Lorsque j’écris un roman, si mon héros joue à la roulette sur la Riviera, je me convaincs de faire mes bagages et je me rends à Cannes ou à Nice (…). Vivre réellement la vie de ses personnages prend beaucoup de temps et rend difficile d’écrire quoi que ce soit. » Alors maintenant, à vous de jouer !
Emily Barnett
Remarquable, n’est-ce pas ? de Robert Benchley (Monsieur Toussaint Louverture), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Paulette Vielhomme et Fanny Soubiran, 224 pages, 18 € (comprend un CD de textes lus par L. L. de Mars)
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