Le champion du roman d’espionnage Robert Littell fait un détour par le thriller sudiste, sur les traces de Raymond Chandler et Cormac McCarthy.
Dix ans après son livre-monde, La Compagnie – Le grand roman de la CIA, adapté en série par Tony et Ridley Scott, le maître du roman d’espionnage russo-moyenoriental a planté sa tente dans le grand Sud américain, sorte d’enfer géographique où les bières mexicaines s’éclusent à vitesse grand V entre deux portes moustiquaires qui claquent.
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Pour toile de fond, Littell a choisi un coin de terre aride et isolé, élégamment soumis à des effluves de fosse septique. Son héros, ancien agent de la CIA en Afghanistan, végète dans une caravane rescapée d’un film hollywoodien, Le Prisonnier de Zenda, en essayant d’arrondir ses fins de mois comme détective privé. L’occasion va lui être offerte de reprendre du service avec la traque d’un petit trafiquant de drogue sur fond de rivalités entre mafieux et petits arrangements avec les services secrets.
Flanqué d’une marionnettiste reconvertie en garante de caution judiciaire, le dénommé Lemuel Gunn se meut dans un univers pittoresque farci de gueules patibulaires et de décors poisseux qui rappellent les films des frères Coen, dans la lignée de leur adaptation du polar caliente de McCarthy, No Country for Old Men. Gunn campe un dur à cuire authentique revenu de tout, qui mène son enquête à coups de traits d’esprit et de références littéraires, de Daniel Defoe à Fitzgerald. On peut ainsi longtemps rêver sur de telles phrases : « Ses lèvres sortaient tout droit d’un roman de Scott Fitzgerald, ovales, humides et à peine entrouvertes en une incertitude permanente. »
L’autre modèle de Littell, Raymond Chandler, imprime aussi sa marque dans ces pages, clair-obscur mué en lumière crue, plongeant cet Etat du Nouveau-Mexique dans un grand bain de nostalgie prévirtuelle et informatique. Comme son héros investissant aujourd’hui son vieux mobil-home hollywoodien, Littell réinvente le polar à l’ancienne en le mêlant au spectre des guerres actuelles, ces croisades modernes refermant de lourds secrets d’Etat, qui sautent au visage du héros quand il ne s’y attend plus.
Une belle saloperie (Bakerstreet), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Arnaud, 320 pages, 21 €
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