En adaptant Roméo et Juliette en une œuvre hip-hop pleine de samples, l’Américain Ronald Wimberly fait groover Shakespeare.
New York, 1984. Trois amis afro-américains, Samson, Grégoire et Tybalt, se retrouvent dans leur quartier, ghetto-blaster et bières à portée de main. La nuit paraît leur appartenir et, pourtant, malgré les amphétamines, l’ennui les gagne. Il faudra la découverte quasi salvatrice de membres de la bande rivale, les Montaigu, surpris en train de graffer, pour que la soirée prenne une tournure plus haletante. Après une hypnotique course-poursuite sur les toits et un sanglant combat au sabre chorégraphié comme un affrontement de samouraïs, Prince of Cats trouve définitivement son rythme, avec ses dialogues en pentamètre iambique et ses scènes colorées.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une fable urbaine inédite
Bientôt apparaissent les personnages secondaires de cette tragédie hip-hop, Roméo et Juliette, cousine de Tybalt qui provoque chez ce dernier des sentiments ambigus. Relire la pièce de Shakespeare en transposant son action dans le Brooklyn violent des eighties – au lieu de la médiévale Vérone – semble une idée de remix risqué. Camper la rivalité entre Capulet et Montaigu en une lutte de gangs ou une battle de graffeurs promet d’excitantes associations visuelles,mais ce changement de décor pourrait aussi sonner creux, artificiel.
L’ampleur de la vision de Ronald Wimberly et sa conviction dans ses choix balaient les doutes, comme une mémorable visite de Coney Island par Tybalt et sa cousine. Jamais Roméo et Juliette ne nous a été raconté ainsi. Si on retrouve la trame popularisée par Shakespeare, tout ce que greffe le jeune auteur américain en fait une fable urbaine inédite. D’abord, Wimberly décale le centre de gravité narratif de la pièce – et bouscule d’autant nos habitudes. En plaçant sous les feux des projecteurs Tybalt, symbole d’une jeunesse à la fois insouciante et tragique, il renouvelle la dramaturgie initiale.
S’il donne un souffle funky au classique de la littérature mondiale, c’est aussi en intégrant dans sa narration fluide des échantillons graphiques aux origines éparses. Il nourrit son inspiration de peintures de Basquiat, de jeux vidéo rétro, de films japonais et de comics – la visière de Samson rappelle celle de Cyclops, le personnage des X-Men. Wimberly n’a sans doute pas oublié, non plus, les pochettes de Pedro Bell pour George Clinton et toute sa clique de Parliament-Funkadelic. L’influence la plus évidente vient sans doute de Warriors (Les Guerriers de la nuit, 1979), long métrage de Walter Hill romançant la guerre des gangs ayant eu lieu, notamment, dans le Bronx. Surtout, Wimberly, qui a signé Sentences avec le rappeur MF Grimm, sait que le hip-hop est un art de la transformation où n’importe quelle matière première peut créer l’étincelle.
Avec assurance et sans trop de respect, il récrit le texte de Shakespeare en un concours de phrases percutantes et élégantes, soulignant le goût des rappeurs pour la scansion et les rimes théâtrales. Il rejoint par là même le travail du rappeur britannique Akala qui, à travers la Hip-Hop Shakespeare Academy, a exposé des liens souterrains mais réels entre le dramaturge et les rappeurs modernes. Responsable de la traduction de Prince of Cats, Charles Recoursé mérite un big up, voire une salve d’applaudissements.
Prince of Cats (Dargaud),de Ronald Wimberly, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, 152 p., 19,99 €
{"type":"Banniere-Basse"}