Santiago H. Amigorena livre un nouveau volet de son œuvre autobiographique, drôle et critique, sur ses toutes premières fois.
C’est une belle invite à baguenauder, main dans la main, le nez au vent des années 1970, à la poursuite d’une époque dissipée où Santiago H. Amigorena, né en 1962 à Buenos Aires mais très vite parisien après l’exil politique de ses parents, fut enfant puis ado. A la manière d’un week-end à Amsterdam qui sonne comme une chanson de Daho : “Je vous propose tendrement d’y venir et d’y rester deux jours avec moi.”
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Nous voilà donc, lecteur sommé d’être actif, comme un bagage vaguement enregistré où l’on peut serrer toute la quincaillerie de ses propres souvenirs. Certes, il n’est pas nécessaire d’avoir été soi-même jeune et parisien dans ces années-là pour goûter la saveur salé-sucré de ce récit tout en arrière et y réfléchir debout, tout en avant, ici et maintenant.
Glander sans fin sur les grèves de l’ennui
Reste que la coïncidence générationnelle favorise foutrement le plain-pied. Les rues du Quartier latin, on les arpente de nouveau ; les portes des cinémas où, resquille oblige, on entrait à l’envers par les sorties de secours, on les pousse derechef ; les croque-monsieur, “un des pires crimes que peut accomplir un cuisinier”, on y mord comme avec de nouvelles dents.
Tenaillé par le tourment tragi-comique du dépucelage, nous voilà sur le ferry pour l’Angleterre, sur le pont d’un navire grec entre Patmos et Santorin, sur la route de Sienne pour l’indispensable voyage en Italie, voire, plus baroque, en 4L pour un déprimant séjour en Tchécoslovaquie.
Mais aussi, en serrant un peu plus fort la main de notre nautonier dans l’océan des réminiscences : glander sans fin sur les grèves de l’ennui, taraudé par la nostalgie d’un pays natal interdit, l’Argentine, qui n’est plus qu’un nom dérivant sur le planisphère.
Il n’y a jamais d’âge d’or
Sous le signe hautain et fatal de Proust, Amigorena part à la recherche de son temps perdu mais, divine stupeur, sans aucune nostalgie. Il rappelle si besoin était qu’il n’y a jamais d’âge d’or, et qu’à bien des égards, notamment politiques, les années 1970 furent des années de plomb quand l’épouvantable Pompidou cédait à l’effarant Giscard.
A la lueur incendiaire du passé, sa colère échevelée n’épargne pas grand-chose des temps modernes : la lobotomie consentie et même désirée (portable, télé, net, etc.) ; la maladie de l’instantanéité ; le capitalisme promu comme une fatalité naturelle ; la social-démocratisation des esprits, brouet répugnant qui prône, suprême éthique à deux balles, qu’il faut toujours raison garder.
La fureur est telle qu’elle ne ménage pas celui qui la propage, l’auteur se traitant avec une certaine délectation de “vieux babouin” en train de gémir sur les temps anciens. Ce qui est une manière auto-humoristique de poser une bonne question : comment critiquer notre présent sans être réactionnaire ?
Amigorena invente le mot de “fou-sourire”, “un sourire atrocement proche du fou-rire”, pour nommer sa disqualification par une belle dame. Amigo Amigorena, l’évocation souvent hilarante de vos années folles et votre étrillage du monde contemporain font songer à une autre voyance cruelle et salutaire : celle de Jacques Tati dans Mon oncle, une sorte de fou-fou-rire.
Les Premières Fois (P.O.L), 592 pages, 22 €
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