Premier roman d’Elliott Murphy, réédition d’un poème de Patti Smith : quand le rock se livre.
La dématérialisation de la musique pousserait-elle les as du couplet-refrain à rechercher de nouveaux horizons ? Ces dernières années, quelques grands noms du rock sont passés du songwriting à l’écriture romanesque. Si les résultats présentent un intérêt littéraire inégal – il faut être accro à l’esthétique de la surenchère pour venir à bout des romans de Nick Cave, qu’ils soient sous influence faulknérienne, comme Et l’âne vit l’ange, ou dopés à l’hyperbole décadente, comme Mort de Bunny Monro -, les parutions aux Etats-Unis de nouvelles de Ry Cooder (Los Angeles Stories, 2011) et d’un roman de Steve Earle (I’ll Never Get out of This World Alive, 2011) venaient coup sur coup prouver que savoir écrire une bonne chanson prédispose à briller dans l’art de la fiction.
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En explorant les secrets du Los Angeles pouilleux des années 40, l’homme qui révolutionna le jeu de guitare de Keith Richards se révèle être un maître conteur, tandis que le plus talentueux héritier des troubadours country signe une déchirante ballade en prose, que vient hanter le fantôme d’Hank Williams. C’est toutefois à un petit prince de la scène underground new-yorkaise que le rock et le roman doivent de s’être pour la première fois rencontrés.
Sur les encarts publicitaires vantant dans la presse anglo-saxonne le quatrième album d’Elliott Murphy (Just a Story from America), un slogan affirmait en 1977 qu' » Il aurait pu écrire un livre, mais il a choisi le rock’n’roll à la place. » Le livre en question, Murphy allait commencer à l’écrire l’année suivante, sous la forme d’une nouvelle (Cold and Electric) aujourd’hui intégrée à un roman placé sous les signes croisés du blues et de F. Scott Fitzgerald – ce qui ne surprend guère de la part d’un chanteur dont le chef-d’oeuvre de 1973, Aquashow, proposait une chanson intitulée Like a Great Gatsby). En s’inspirant des mésaventures de Pat Hobby (le scénariste has-been auquel Fitzgerald consacra ses ultimes nouvelles), Murphy retrace le parcours d’un guitariste trentenaire, passé du statut de superstar en puissance à celui de requin de studio courant à la fois après les cachets et ses illusions de jeunesse.
Des palaces d’Hollywood aux clubs de blues de Manhattan, Marty May voit ses ambitions adolescentes céder la place à un désabusement croissant et à une impécuniosité chronique, sans pour autant se départir d’un humour assassin (dont le barnum heavy-metal fait les frais) et d’un reste de foi dans le rock’n’roll, « moyen le plus rapide de se plonger au coeur de l’énergie de l’Amérique, dans sa moelle la plus sombre, la source de tout ce qu’elle a d’atroce et de merveilleux, son incessante quête d’une âme ». De l’âme et de l’élégance, ce roman doux-amer en regorge, Murphy faisant de Marty May le porte-parole d’une génération déboussolée, qui a raté le virage new-wave.
L’aube de cette new-wave, Murphy lui-même en fut pourtant un observateur fasciné – avec Lady Stiletto, il tirait dès 1976 un portrait plutôt acide de Patti Smith (« Elle a quelque chose de Bonaparte/Elle est du genre Jack l’Eventreur »). Et un malicieux hasard veut que la publication française de Marty May soit synchrone avec celle de La Mer de corail, poème en prose dans lequel la même Patti Smith imaginait en 1996 le dernier voyage d’un « Passager M. » (pour Mapplethorpe). Cette odyssée maritime élégiaque et onirique permettra aux fans de Just Kids d’avoir leur fix de Patti, en attendant la parution du roman policier dont elle serait en passe de terminer l’écriture.
Marty May d’Elliott Murphy (Joëlle Losfeld), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier, 416 pages, 26 €
La Mer de corail de Patti Smith (Tristram), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Mourlon, 96 pages, 5,95 €
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