Après la pop-star et le politique, c’est au tour de l’écrivain de céder à l’appel du tweet. De l’autopromo à l’escarbille littéraire, le réseau social se révèle aussi une antichambre de l’édition numérique.
Il y a quelques semaines, Les Inrocks consacraient un dossier aux politiques accros au tweet. Si le réseau social aux 140 millions d’utilisateurs a fait ses preuves comme outil de com, entre arme de campagne et cour de récré, Twitter reste aussi un miroir narcissisant pour une poignée de pop-stars (Lady Gaga, Justin Bieber, Rihanna ou Britney Spears). Viennent ensuite les people en tout genre, abondamment commentés à condition qu’ils déversent leur fiel (Kassovitz et son “j’encule le cinéma français”).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans cette jungle 2.0 où fusent coups de gueule, gros LOL et dictons du jour, l’écrivain, cet animal étrange, semble aussi avoir son mot à dire. Encore peu nombreux à gazouiller (= tweeter), certains ont fait une apparition remarquée. Nous ne parlons pas ici de Marc Levy, qui se contente d’annoncer ses passages télé et ses signatures au Virgin Megastore de La Roche-sur- Yon, par exemple. Ni de Pierre Assouline – qui après cinq messages de 30 caractères a lâché l’affaire – ou d’Alexandre Jardin – dont l’un des derniers tweets, pourtant phénoménal, remonte à 268 jours (“Une fille de 20 ans est morte hier, au bout de ma rue, écrasée, et je pars en vacances. Comment le penser ?”). Sans parler de Yann Moix, qui boude carrément : le mois dernier, après une ultime saillie sur Twitter, ce “dépotoir de phrases”, l’auteur de Partouz a fermé son compte.
Laboratoire littéraire
De fait, les écrivains prompts à incriminer Twitter ne manquent pas. Encore récemment, Jonathan Franzen évoquait un “média totalement irresponsable” incarnant “tout ce à quoi [il s]’oppose”. Ce qui n’empêche pas les romanciers anglosaxons d’être de fervents utilisateurs, comme Salman Rushdie, Jonathan Ames, Douglas Coupland, Chuck Palahniuk, Tao Lin, Jay McInerney.
Dans le cas – fameux – de Bret Easton Ellis, pionnier en la matière, le tweet ne relève pas de la simple tendance compulsive, mais du laboratoire littéraire : l’écrivain américain y expérimente des formes, teste ses projets, allant dernièrement jusqu’à recueillir les suggestions de ses fans pour écrire la suite d’American Psycho. Côté français aussi, deux écrivains se distinguent pour avoir su désenclaver la timeline de sa vocation informative/prescriptive option pince-sans-rire. Chez Régis Jauffret, le tweet est lâché avec une désinvolture minimaliste (“En ce moment, j’aime le beurre”) procédant d’une désacralisation autant que de l’exercice de style.
En parallèle de la question esthétique, Twitter se révèle passionnant quand il s’inscrit dans une idéologie pronumérique. C’est le cas avec François Bon, écrivain et éditeur en ligne (voir son site publie.net) – profil qui lui a valu de récents démêlés avec Gallimard autour de sa traduction du Vieil Homme et la Mer d’Hemingway, non libre de droits. Pour l’occasion, Twitter s’est transformé en champ de bataille virtuel entre l’éditeur et l’écrivain. Depuis, et même avant, ce twitto littéraire, fort de ses 5 000 abonnés, surinvestit le terrain, voire sature l’espace, à raison de 50 tweets mininum par jour.
Traduction : François Bon est ici chez lui, premier adepte de cet hydre numérique qu’il entend bien, un jour ou l’autre, asseoir sur l’édition traditionnelle. Un scénario très envisageable étant donné le manque d’entrain (l’appréhension ?) des maisons d’édition à s’acclimater à la nouvelle donne internet. D’ailleurs, les éditeurs et attachés de presse ne tweetent pas, ou à peine, laissant le soin aux critiques, blogueurs et autres “amoureux” des livres de les promouvoir à leur place. Heureusement que Twitter a son petit prodige, toujours prodigue en coups de coeur : @bernardpivot1
{"type":"Banniere-Basse"}