Dans “L’Opposé de la blancheur – Réflexions sur le problème blanc”, l’autrice de “Rouge Impératrice” signe un essai sur un sujet qui reste un point aveugle du débat public : la reconnaissance des ravages du colonialisme et de l’esclavage.
Si la blancheur de la peau ne dit évidemment rien de substantiel de celui ou celle qui l’exhibe, ne porte-t-elle pas, sous sa surface pâle, les sédiments d’une histoire collective refoulée ? Ce blanc n’aveugle-t-il pas à force de n’y voir que du feu ? À rebours de cette indifférence à la signification épidermique du blanc, Léonora Miano cherche dans L’Opposé de la blancheur à identifier le nœud séculaire d’un “problème blanc” aux yeux des Afrodescendant·es.
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Le “problème blanc” pourrait-il devenir le problème des Blanc·hes mêmes ? Explosive, en ce qu’elle suscitera l’ire de ceux et celles qui s’offusquent que la couleur de la peau soit associée à une identité, la question traverse sa réflexion sur le concept de “blanchité” qui, sous sa plume, signifie “occidentalité”. La romancière (Stardust, Rouge Impératrice…) interroge cette myopie politique autant qu’elle invite à dénouer les tensions raciales via l’examen de conscience collectif.
Ce que trimballe la blancheur
Être blanc·he devient un problème dès lors que la blancheur se cache à elle-même l’histoire de la violence qu’elle véhicule et prolonge inconsciemment – la conquête des Amériques dès le XVe siècle, la traite négrière, les déportations transocéaniques de Subsaharien·nes… Il s’est alors agi de “coloniser l’égalité, de n’en destiner les bienfaits qu’à une catégorie de personnes, et sur la base de leur race supposée”. Au fil du temps, la couleur de ceux et celles qui avaient été fait·es “noir·es” “devint le symbole non pas d’une origine ethnique en tant que telle, mais d’une condition particulière, celle de personnes dont l’humanité serait souvent considérée comme discutable”, comme rejetées hors de l’humanité.
Or, en dépit des précieux travaux d’historien·nes contemporain·es (comme celui, collectif, mené par Pierre Singaravélou dans Colonisations – Notre histoire, publié au Seuil en cette rentrée), la manière dont la France fut transformée par son expérience coloniale demeure un point aveugle du débat public : “L’imaginaire français ne fait pas de la mémoire de l’esclavage une question de premier ordre et, pour ménager les susceptibilités, il est impossible de l’approcher sans baliser le chemin”, regrette l’autrice. Le refus de la culpabilisation, la mise à distance des traces du traumatisme de l’expérience coloniale dans l’analyse des tensions sociales, la restitution contrariée d’œuvres à l’Afrique, etc. forment autant d’indices des “hauts faits de la blanchité”.
Déverrouiller la parole de l’ancien colonisateur
Mesurant la levée de boucliers qu’il lui faudra affronter devant “celles et ceux qui jouissent d’un avantage racial multiséculaire et s’opposent à tout examen du sujet, et se disent victimes de racisme inversé”, la romancière invite calmement, dans la lignée de la pensée postcoloniale, à réactiver – comme elle le fait elle-même dans ce récit hanté par ce qu’elle a traversé, vu et lu – la mémoire, la création et la conversation publique, en espérant que “la parole de l’ancien colonisateur” se déverrouille enfin. Afin que la blanchité dominante se fasse un jour recouvrir par la blancheur innocente d’une histoire plus compréhensive, où les couleurs de peau s’inscrivent dans un récit partagé, lucide et apaisé.
L’Opposé de la blancheur – Réflexions sur le problème blanc de Léonora Miano (Seuil), 192 p., 17,50 €. En librairie le 6 octobre.
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