A l’occasion de notre numéro spécial « Comment ça va, la France ? », l’auteur relate sa rencontre avec le président du Sénat et se prend à rêver d’une France de notaires.
Le lendemain du jour où j’ai entendu Badinter demander à ce qu’on arrête de promener – symboliquement – la tête de Macron au bout d’une pique, j’ai croisé à la radio le principal bénéficiaire d’un tel événement, s’il venait à se concrétiser. Gérard Larcher, le second personnage de l’Etat, l’homme situé au deuxième rang dans l’ordre de succession républicaine : ça le rendait soudain sexy, sexys comme le sont toujours en France, pays léger et versatile, les figures présidentiables nouvelles.
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J’étais précisément en relation, dans le cadre d’une tentative un peu hasardeuse d’embourgeoisement, quelques mois avant mes 40 ans, avec un office notarial, et l’entendre s’excuser, avec gourmandise, de ce qu’il parlait un peu comme un notaire, m’a presque fait rougir.
On avait vu aussi la veille des pompiers et des policiers se battre, j’avais enregistré l’information, sur Twitter, avec un peu de fierté
Le jeune homme qu’il avait été était encore là, intact, sous ses grosses joues, et même si je savais que c’était un tueur, et de la pire espèce, de ceux qui brisèrent les ambitions sénatoriales de Jean-Pierre Raffarin et qui, de ses années de vétérinaire à Rambouillet, doit bien avoir quelques assassinats de chiots sur la conscience, je me laissais facilement séduire.
On avait vu aussi la veille des pompiers et des policiers se battre, j’avais enregistré l’information, sur Twitter, avec un peu de fierté – la France ce ne serait jamais complètement le pays de Disneyland, et on viendra un jour y faire du tourisme syndical, intégrer un cortège de la CGT avant de se réjouir que la tour Eiffel soit magiquement fermée –, et un peu d’inquiétude – l’espace public se réduisant soudain à la distance qui réduisait l’écran en polycarbonate d’un casque de CRS à sa contrepartie à l’écran métallisé d’un casque de pompier : c’est peu.
J’étais clairement à la recherche d’une figure d’apaisement et c’est vrai que Macron me crispe dès qu’il parle, quand Larcher pourrait dérouler quatre heures de discours sans que je ne sente rien.
Je pensais à la décennie paradoxale qui s’ouvrait devant moi, à la France tiraillée, à l’injonction contradictoire qu’il y aurait bientôt, pour moi, à habiter en zone blanche, avec ma cuve à fioul et mon diesel – mais cela restait un déguisement de Gilet jaune, et un projet de résidence secondaire, dans le seul coin que j’avais trouvé qui corresponde à mes moyens : un pays de notaire, de temps long, de phrasé un peu épais où avant d’avoir fini de dire République on n’est pas certains qu’elle ne soit pas déjà dissoute.
J’exagère un peu, mais j’ai ressenti très clairement cela, en présence de mon futur chef de clan, le roi des sénateurs : avant Macron la politique était un peu nulle, mais elle avait le temps de l’être, on ne risquait pas grand-chose, les sénateurs rôtissaient si lentement, le temps que le peuple fasse tourner la broche du mécontentement, qu’ils mouraient de vieillesse.
Avec Macron la politique est devenue agile, juvénile et intelligente : c’est comme si les joueurs, d’habitude immobiles comme ceux d’un baby-foot, étaient montés sur la main des joueurs véritables – les mains fameuses de ces Français qui fument des clopes, roulent au diesel et mangent avec les mains, pour parler la langue de la Macronie, nourrie de la passion pas tout à fait moderne du chef pour Michel Audiard – et de là tentent de rediriger l’action, moitié par poigne, moitié par pédagogie, en s’attribuant d’avance tous les buts, mais en se tenant prêts à foncer à leur tour, en cas de risque de révolution, dans les cages obscures – on appelle ça, pour ne pas perdre la face, et prétendre avoir organisé le chaos, mettre les mains dans le cambouis, dans la langue d’Audiard, ou réparer le système, dans celle de Macron : un retour à la politique à l’ancienne, aux années Chirac ou Hollande, au goût de ne rien faire, d’attendre le temps qui passe, de compter les mois qui restent avant les prochaines échéances – cela suffit parfois pour refaire une partie.
Cela fait longtemps, de toute façon, que le baby-foot n’est plus un sport populaire, mais un trophée de startuper.
Dernier roman paru Le Continent de la douceur (Gallimard)
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