Peu avant sa disparition, le grand traducteur Bernard Hoepffner confiait ce qui restera son unique roman aux éditions Tristram. Un autoportrait plein d’ironie.
Mort en mai 2017, emporté par une vague au Pays de Galles, Bernard Hoepffner était connu pour avoir traduit certains monuments des lettres anglo-saxonnes auxquels il s’était réattaqué (Anatomie de la Mélancolie de Robert Burton, plusieurs Mark Twain, et puis cette retraduction collective d’Ulysse de James Joyce chez Gallimard) ainsi que quelques contemporains, notamment Will Self. “C’était un excentrique aussi attachant qu’exaspérant, car il savait tout sur tout”, dit de lui l’auteur des Grands Singes.
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Portrait du traducteur en escroc est une sorte de roman à clés et d’autoportrait déguisé, facétieux, élégant. Tant de grands textes théoriques ont été écrits sur la “tâche du traducteur”, pour reprendre l’expression de Walter Benjamin, exercice impossible, jamais achevé, etc.
La schizophrénie subie et inconsciente des traducteurs
Hoepffner s’amuse pour sa part à romancer sa vie pour rendre compte de son drôle de métier. Il imagine les mésaventures d’un alter ego, un traducteur du nom de Frank Perceval Ramsey, qui “semble n’être composé de rien de plus tangible que la succession de diverses facettes, plus ou moins irréconciliables et incompatibles, dont le seul facteur unificateur serait la double contrainte, ou double bind”. Un homme qui incarne parfaitement la schizophrénie subie et inconsciente des traducteurs, ces écrivains contraints, obligés de réécrire les livres d’autrui.
“Escroc sans vergogne”, tel qu’il se décrit, notre traducteur décrit son art comme un exercice douteux, malhonnête et culotté. Il cite Hugo, pour lequel toute traduction est ressentie par la nation qui accueille le livre étranger comme un “acte de violence”.
Une langue qui s’exprime enfin pour elle-même
On lit surtout ici cette langue qui s’exprime enfin pour elle-même, souple, chantante, endiablée, libérée du joug des autres. Un véritable écrivain, qui sait autant traduire une scène d’amour sous la forme d’un dialogue sans mots que nous faire croire de Borges qu’il fut un imposteur, le prête-nom d’un auteur inconnu.
Tiré de l’auteur de Fictions, l’épigraphe résonne d’une étrange manière, comme si l’écrivain-traducteur avait pressenti son triste destin : “Pendant des années, un homme peuple un espace d’images, de provinces, de royaumes, de montagnes, de baies, de bateaux, d’îles, de poissons, de pièces, d’outils, d’étoiles, de chevaux et de gens. Peu avant sa mort, il découvre que le patient labyrinthe de lignes trace l’image de son propre visage.”
Portrait du traducteur en escroc (Tristram), 185 pages, 17 €
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