Quarante ans d’histoire du porno américain dans un livre-somme aux détails hallucinants. Des pionniers aux ouvriers, des stars aux mafieux, tous sont au casting de cette énorme fièvre collective.
De fait, la fin des années 70 croisera porno, strip-tease, disco et punk-rock dans une atmosphère de fête continue (notamment Chez Bernard’s, un bar du quartier des théâtres devenu le QG de toute la scène X, pas si grande d’ailleurs, ce sont toujours les mêmes têtes). Le basculement de la vidéo invente la « Me Generation », incarnée par la blonde Ginger Lynn :
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« Je suis belle et je baise et je suis super et je suis chaude et j’adore ça et c’est pas pour le fric mais je suis quand même riche et je réussis… »
Son attitude est un condensé excitant de toute l’idéologie yuppie.
http://youtu.be/t3Z6RHB71Ew
Au même moment, John Holmes, sorte de Patrick Dewaere soutenant un baobab de 37 centimètres, demi-dieu de l’Olympe du secteur, met au tapin sa fiancée mineure, se défonce comme un malade, livre tout le monde aux flics, provoque un quadruple assassinat entre dealers et meurt du sida. Le milieu fait l’autruche (il faudra attendre 1998 et le scandale Marc Wallice, hardeur plombé ayant contaminé plusieurs filles, pour que les esprits changent).
Le second électrochoc des années 80 se nomme Traci Lords, elle est diaboliquement belle, arrogante, déchaînée, mais – personne ne le savait avant qu’elle n’orchestre elle-même les révélations – elle n’avait que 16 ans. Son désir assoiffé de célébrité a failli faire couler tout le monde à la fin de la décennie. Les années 90 sont marquées par l’arrivée de producteurs et de marques comme Vivid, qui sont là pour le marketing, lançant des filles refaites à la chaîne par un certain Doctor Pearl (un chirurgien véreux de 70 ans, entouré d’assistantes d’1,80 m !) comme on lance un nouveau dentifrice.
Les films sont de plus en plus extrêmes et le porno commence à devenir une lessiveuse broyant ses filles. L’une des plus belles, Savannah (ex de Billy Idol, Slash, Gregg Allman), se suicide en juillet 1994, après qu’un accident de voiture a égratigné son visage. Elle a eu peur de ne jamais retrouver sa célébrité. L’Autre Hollywood repose sur les mêmes rêves de midinettes que son grand et respectable aîné.
C’est même une des suppositions qui court durant tout le livre : et s’il n’y avait pas tant de différences entre les deux Hollywood ? Après tout, Warren Beatty, Sammy Davis Jr., Jack Nicholson, Tony Curtis, la bande autour de Coppola ont beaucoup chassé les filles du X. La hardeuse Veronica Hart affirme même que faire du porno était, dans les années 80, une façon d’échapper à l’hypocrisie :
« Il n’est pas nécessaire de coucher avant pour obtenir un rôle dans le porno quand, à Hollywood, toutes les aspirantes actrices se font sauter en promesse d’un rôle. Hollywood repose complètement sur les fausses promesses et les espoirs. C’est ce qu’il y a de plus agréable quand on bosse avec des gens du porno ; on est très pragmatique et assez loin de toutes ces conneries. »
Plusieurs fois, il y a même failli avoir fusion entre les deux univers. Hollywood fit un pont d’or à Gerard Damiano (réalisateur de The Devil in Miss Jones) pour qu’il fasse des films érotiques estampillés MGM (il refusera car on lui imposait des scènes avec des hippies). Quant à Linda Lovelace, jamais en mal de perles, à la sortie de son premier fist-fucking, elle ne trouva pas d’autre comparaison à faire que celle-ci : « C’était comme dans un film de Fred Astaire. »
Parce que sa réalité dépasse tous les opus cocaïnés de Bret Easton Ellis et tous les épisodes en blaser saumon de Miami Vice, ce livre est peut-être le plus grand livre rock jamais écrit. On s’y fait plein de nouveaux amis, capables de vous sortir tout de go à propos de John Holmes :
» Il est la preuve vivante que les hommes ne naissent pas égaux. Tout d’un coup, sa bite est apparue – et c’était comme la scène inaugurale de La Guerre des étoiles. »
Des gens capables des plus belles preuves d’amitié ( » Seka ? Je l’adorais – Tant que j’aurai un visage, Seka aura toujours une place où venir s’asseoir ») ou de savoir-vivre ( » Pour le vingt-et-unième anniversaire de Marilyn Chambers, je lui ai offert vingt-et-un mecs pour la baiser »).
De vacheries aussi (« Linda jouait comme un pied de lampe »), et de jugements techniques aigus (« Carl baisait comme un gamin de 18 ans. On aurait dit un lemming qui galope vers la mer »). De regrets par poignées (« C’est quand même bien dommage que Smitty se soit jeté par la fenêtre, parce qu’il dégotait toujours les plus jolies filles. Smitty avait très bon goût »). Un réservoir à idées permanent (« On a pensé à tourner un film avec un chien. Ça t’intéresse ? »), même si parfois les idées lancées trop vites s’avèrent pourries (« A un moment précis, tout le monde essayait de faire des films avec des chiens. Mais encore fallait-il que les chiens sachent jouer »).
On y apprend à distinguer un « mac de voyage » d’un mac de base, et tout un tas de nouveaux mots supers : « faire du youppi à angle droit » n’est jamais très différent que donner du menton, vous savez ?
Il a fallu sept ans pour que ce livre se fasse, dont trois paraît-il pour convaincre les barons de l’édition new-yorkaise que les gens qui consomment du porno savent lire et veulent lire. Et que ceux qui en sont la chair à canon savent parler. L’un d’entre eux (Humphry Knipe) a même trouvé l’épitaphe exacte sur laquelle se referme le couvercle des quatre décennies qu’il aura traversées : « Ce qui est arrivé à la révolution sexuelle ? Elle a chopé le sida et elle est morte. »
Philippe Azoury
The Other Hollywood de Legs McNeil et Jennifer Osborne (Allia), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire Debru, 785 pages, 29€.
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