La romancière finlandaise Sofi Oksanen signe “Le Parc à chiens”, un thriller ambitieux qui nous plonge dans l’histoire récente de l’Ukraine, et appréhende son impact sur les vies et les corps des femmes.
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Survivre en faisant des ménages, planquée sous un faux nom à Helsinki. Olenka, la narratrice de Sofi Oksanen, croit être à l’écart du danger depuis son départ d’Ukraine. Mais voilà, une ancienne camarade, peut-être pas si bien intentionnée, vient de retrouver sa trace dans la capitale finlandaise. Le passé qu’Olenka a tenté de fuir, l’autrice de Purge (prix Femina étranger 2010) va nous le dévoiler au compte-gouttes dans un thriller parfois un peu labyrinthique, mais angoissant jusqu’à la dernière page.
Oksanen nous fait visiter les coulisses des relations commerciales entre l’Est et l’Ouest et signe un livre ambitieux par son ampleur et audacieux par les sujets qu’il aborde : l’installation anarchique du libéralisme en ex-URSS, les déplacements de populations, le soulèvement de la place Maïdan de Kiev, l’exploitation du charbon dans le Donbass. Surtout, la romancière démontre avec une précision froide comment l’énorme différence de niveau de vie d’un pays à l’autre crée de nouvelles formes d’esclavage, dont les femmes sont les premières victimes. Dans le monde qu’elle décrit, où tout se vend et tout s’achète, l’Ukraine devient un fournisseur industriel de donneuses d’ovocytes et de mères porteuses.
Au prétexte d’en faire des mannequins, de très belles jeunes femmes sont choisies sur catalogue et envoyées dans des cliniques chypriotes – les conséquences sur leur santé des opérations subies passant au registre des pertes et profits pour les agences qui les emploient. Au fil de ses souvenirs, Olenka raconte les futures donneuses d’ovocytes évaluées sur leurs performances, et la violence de classe qui sous-tend les relations professionnelles. Sofi Oksanen a su créer un personnage complexe, victime certes, mais aussi actrice d’une situation dont elle pensait tirer profit : ancienne mannequin éblouie par l’argent, elle a participé au recrutement des filles.
Politique et féministe
La place des femmes dans les bouleversements des pays d’ex-URSS a toujours été une préoccupation majeure de l’écrivaine et dramaturge, fille d’un Finlandais et d’une Estonienne. Depuis Les Vaches de Staline, son premier roman traduit en français en 2011 (chez Stock), elle a imposé un style, une manière très crue de décrire sans fard une certaine réalité. “Après l’effondrement de l’Union soviétique, le marché des mannequins s’était ouvert sur l’Est, dont les filles représentaient un nouvel exotisme. J’avais quinze ans.” Longtemps, on ne sait pas quel danger précis, qu’on devine terrible, a dû fuir Olenka. Mais on s’attache vite à cette narratrice qui, certains soirs, entend des pleurs de bébé dans sa tête.
Car Sofi Oksanen sait en peu de mots ébaucher un portrait, et dans sa description de la situation politique et sociale, elle évite avec talent la reconstitution pesante et les fiches Wikipédia. Elle sait isoler de petits faits emblématiques, qui montrent mieux qu’une grande démonstration les conséquences d’événements historiques sur la vie quotidienne : dans un village, une babouchka contrainte de quitter sa maison sans se retourner. Et c’est aussi l’histoire compliquée des familles, faite de déracinements successifs, dont nous parle Oksanen. Ainsi, la grand-mère maternelle de la narratrice est née près de Vinnytsia, dans l’ouest de l’Ukraine, où elle a grandi avant d’être envoyée en Sibérie : “Elle nous avait toujours parlé en ukrainien. Par contre, ma mère née en déportation avait connu une tout autre destinée. Elle parlait russe avec mon père et avait construit sa vie en Estonie.”
Oksanen ne se contente pas de décrire, son propos est politique et féministe, et un réseau de femmes tient son livre : mère, tante, grand-mère, amie tissent l’essentiel des échanges qui s’y déroulent. Et entre elles, de la millionnaire en mal d’enfants à la jeune femme donnant ses ovocytes en passant par la mère inquiète pour toujours à propos de sa fille, circule une inconnue : ce que signifie enfanter.
Parallèlement à ce roman, signalons la parution d’un recueil de poésies inédit, qui permet de découvrir une autre facette du travail d’Oksanen. Une jupe trop courte est constitué de textes consacrés à la violence faite aux femmes. Dans une postface, Oksanen explique sa préoccupation : “En Finlande, les femmes ont proportionnellement deux fois plus de risques d’être tuées par leur conjoint que dans les autres pays occidentaux.”
Le Parc à chiens (Stock), traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, 540 p., 24€. En librairie le 7 avril
Une jupe trop courte. Récits de la cuisine (Points), traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, 112 p., 6,90€. En librairie le 8 avril
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