“Plaidoyer pour les chiens, bâtards, fils de chiennes” est une formidable mise à nue de la tyrannie d’Erdogan qui, entre autres, n’aime ni l’humour ni l’intelligence ni la vérité ni les chiens.
Pour qui a lu des romans de Philippe Videlier, dont le sensationnel Dernières nouvelles des bolcheviks (2017), son grand style n’est pas une surprise mais il phosphore plus que jamais dans un court texte de la collection Tracts de Gallimard. Déjà son accroche : “Vous êtes des bâtards ! Vous êtes des fils de chiennes !” Tel était le message lapidaire et élégant officiellement délivré en français sur Internet par le vice-ministre turc de la Culture et du Tourisme à l’adresse de Charlie Hebdo, journal satirique de gauche sis à Paris.” Charlie Hebdo qui, en octobre 2020, avait eu l’impudence de publier une caricature de Recep Tayyip Erdogan où il figurait en train de d’exhiber les fesses nues d’une fille voilée en s’écriant : “Ouuuh ! Le prophète !”
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Et Videlier de conclure : “Le message du ministre favorisait-il la culture et le tourisme en Turquie ? On est en droit de s’interroger.” S’interroger en s’adonnant à un genre pamphlétaire de haut vol en forme de Plaidoyer pour les chiens, bâtards, fils de chiennes. Jusqu’où peut aller cette aversion turque pour les chiens ?, se demande Videlier. Et d’où vient-elle ? A l’en croire, elle remonterait à la fin du XIXème siècle où le sultan Abdülhamid, responsable de moult pogroms et massacres, décide qu’il faut aussi en finir avec les bandes de chiens qui errent dans les rues d’Istanbul : capture des clebs et relégation dans un îlot de la mer de Marmara où on les laissa crever.
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Prix Kadhafi des Droits de l’Homme
Quel rapport avec la Turquie d’aujourd’hui ? Les chiens justement. Erdogan qui se vit comme un nouveau sultan a trouvé ses chiens à lui : les Kurdes, les Arméniens, les journalistes, les intellectuels ou quiconque ose contrarier sa splendeur irradiante. Ce qui fait qu’à défaut (provisoire ?) d’extermination dans une île, ses prisons sont pleines à craquer. Un déchirement probable pour celui qui, Videlier le rappelle avec un humour très noir, reçu à Tripoli peu de temps avant la chute du tyran libyen, le Prix Kadhafi des Droits de l’Homme, doté de 250 000 dollars.
Le tract de Videlier est un régal d’archives et de recherches instruites, mais surtout à la chaude lumière de Montesquieu qu’il cite (Les lettres persanes), un bonheur de conte philosophique doublé d’un joyeux labyrinthe de digressions souvent hilarantes (de Dario Moreno à Charlton Heston) qui ne distraient pas du propos (la dictature et ses grotesques) mais l’augmentent. Gageons que ce faisant Videlier rejoindra la longue liste des chiens bâtards promis au minimum à l’enfer par Erdogan et ses complices de toutes sortes. Ce sera son honneur.
Plaidoyer pour les chiens, bâtards, fils de chiennes de Philippe Videlier, Coll Tracts chez Gallimard, 3,90 euros
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