Une petite créature extraterrestre visite un monde de rêve, qui s’avère cauchemardesque et révèle toute la perversité de l’auteur japonaise Junko Mizuno.
Connue pour ses adaptations délirantes de contes européens traditionnels (La Petite Sirène, Hansel et Gretel…), à faire se retourner dans leurs tombes Hans Christian Andersen et les frères Grimm, l’illustratrice et auteur de bandes dessinées japonaise Junko Mizuno dispose manifestement de suffisamment d’imagination pour concocter ses propres scénarios frappadingues, comme en témoigne Pilou, l’apprenti gigolo.
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La planète Princesse Kotobuki est un joyeux éden où les femmes vivent seins nus et se reproduisent seules, en faisant fusionner dans leur ventre deux petites créatures ovariennes. Pilou est l’une de ces curieuses bestioles, sortie du corps d’une femme décédée avant sa reproduction. Lorsqu’il apprend le secret de sa naissance, Pilou décide de partir pour la Terre, où il espère trouver l’âme soeur et pouvoir procréer.
Là, il découvre un monde merveilleux avec ses palais de rêve, ses femmes aux coiffures de princesse, ses fleurs luxuriantes, ses gentils caniches… Pilou s’amourache de toutes les jolies filles qu’il croise, mais celles-ci le traitent comme un animal de compagnie – il faut dire qu’avec sa forme de petit nuage cotonneux et ses grands yeux ronds il ressemble plus à un adorable toutou qu’à un étalon.
Avec son style graphique à la fois psychédélique et naïf, dont les rondeurs rappellent les magazines pour fillettes des années 70, Junko Mizuno crée un univers totalement “kawaii”, sorte de terrain de jeu idéal pour gamines, qui reprend et mélange les codes mignards de Candy, de Charlotte aux fraises et de Mon petit poney. Mais l’utilisation de ce style sucré so cute n’est pas innocente, car le récit, lui, est tordu à souhait et bien moins angélique que le dessin ne le laisse croire.
Derrière la joliesse presque écoeurante du trait, derrière les créatures adorables et les petites filles modèles, derrière les textes gentillets, les comptines, la candeur et la logique naïve de Pilou se cache un monde rude et sans pitié. Sous des aspects pop, la critique sociale est acerbe. Junko Mizuno présente une vision noire du monde contemporain, et les couches de meringue mettent d’autant plus en évidence la misère et la bassesse humaines.
On croise ainsi une écrivaine hystérique qui maltraite son nègre, un jeune homme qui se suicide parce que son amie, une aspirante chanteuse pop, refuse de tricher pour avoir du succès, ou une étudiante mal-aimée qui meurt dans des conditions atroces que ne renierait pas le maître de l’horreur Junji Ito. On découvre aussi des enfants incultes, des émissions de télé débiles, des amours malsaines, des ados drogués… Un conte terriblement pervers et subversif, où les rêves de petite fille tournent implacablement au cauchemar.
Pilou, l’apprenti gigolo – Tome 1 (IMHO), 172 pages, 12,95 €
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