Philippe Sollers est mort vendredi 4 mai. L’écrivain de Parc et de Paradis avait contribué à renouveler le roman français. Avec sa disparition, c’est une page de l’histoire littéraire qui se tourne définitivement.
Philippe Sollers est mort vendredi 4 mai. L’écrivain de Parc et de Paradis avait contribué à renouveler le roman français. Avec sa disparition, c’est une page de l’histoire littéraire qui se tourne définitivement.
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Philippe Sollers était une icône. Les plus jeunes se souviendront du monsieur à l’œil amusé, à la coupe de moine, aux bagues d’or et à l’éternel fume-cigarette, qui lançait des statements aussi définitifs que malicieux sur les plateaux de télévision. Ce grand joueur était pourtant profondément sérieux, mais ne voulait surtout pas que le sérieux le piège. Il se voulait secret et insaisissable, même exposé en pleine lumière. Il aimait l’art chinois de la guerre. Il allait vite, écrivait beaucoup, lisait beaucoup, aimait… Julia Kristeva, et puis Dominique Rolin.
Légende de son vivant, celui qu’on n’appelait plus que par son seul nom avait, comme toutes les légendes, un style. Un style littéraire et un style de vie. Il écrivait chez lui tous les matins, puis déjeunait d’un repas frugal à la Closerie des Lilas, avant de gagner son bureau chez Gallimard où il officiait comme éditeur depuis 1982. Maoïste puis papiste, séducteur mais à passion fixe (titre d’un de ses romans), admirant le nouveau roman et Mozart, Vivant Denon et la psychanalyse, éditeur de Marc-Edouard Nabe et de Yannick Haenel, à la fois moderne et hors de notre temps, il serait facile de réduire Sollers à un délicieux paradoxe, presque un personnage de roman, ou pire : une personnalité médiatique. Sauf qu’il ne faudrait pas oublier son œuvre.
Né Philippe Joyaux le 28 novembre 1936 dans la région de Bordeaux dans une famille bourgeoise, Sollers s’est imposé comme l’un des plus grands écrivains d’avant-garde français avec le roman expérimental Le Parc (Prix Médicis 1961). Suivront les tout aussi novateurs L’Intermédiaire (1963), Drame (1965), Nombre (1965)… Fondateur de la revue Tel quel avec Jean-Edern Hallier au Seuil, où les deux jeunes hommes publient les structuralistes, proche des écrivain.e.s du Nouveau Roman, Sollers a lui aussi, de son côté, participé au renouveau du roman Français, à ses expérimentations, à ses avancées. Car dès Le Parc, l’écrivain n’a jamais cessé d’interroger l’écriture, questionnant voire transformant des règles romanesques jugées obsolètes : ponctuation, linéarité narrative, etc. Sollers a dynamité la forme romanesque en l’éclatant en fragments, en pièces de puzzle, en cycles, et en y injectant d’autres formes littéraires, dont le manifeste. Pas étonnant s’il aura été chez Gallimard l’éditeur du grand retour de Jean-Jacques Schuhl, l’auteur de Télex n°1 et Rose poussière, au roman avec Ingrid Caven (prix Goncourt en 2000).
Ses derniers textes – dont les très récents Légende (2021) et Graal (2022), qu’il publiait au rythme d’un par an, restaient fidèle à son goût de l’éclat et se composaient souvent de fragments aussi bien narratifs que discursifs, sur ses passions, l’air du temps et ce qu’il en pensait, le bonheur de vivre. Comment vivre et comment écrire, semblait fusionner pour ce passionné de littérature et ce grand vivant en une même question. Rencontré un jour dans la rue, il nous avait dit, alors que nous parlions d’un (mauvais) roman qui venait de paraître : « Il n’y a pas une seule phrase. Pas une seule phrase que l’on retienne. Alors qu’écrire, c’est justement cela : savoir faire une phrase. ». C’est aujourd’hui comme si un pan de l’histoire littéraire venait de disparaitre : ce moment où écrire voulait dire chercher à renouveler le roman, à faire de la littérature, où chaque mot, chaque phrase comptait, où la forme était essentielle, et où la littérature était au centre des débats, des idées. Bref une affaire, là encore, de style.
Nelly Kaprièlian
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