Il a inspiré George Lucas et eu Flaubert comme scénariste… rencontre avec le dessinateur de BD culte Philippe Druillet au moment où sort une monographie classe.
De quand date votre révélation du dessin ?
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Philippe Druillet – Tout môme, je suis sur une place en Catalogne et je vois un gamin qui dessine d’une façon toute simple le port. Je me dis: « Avec un crayon, on peut inventer un monde ! » Ça a été le premier déclic, j’avais 5 ou 6 ans. Mon premier film a été Hamlet de Laurence Olivier. Avec le générique et l’Ile des morts de Böcklin, je me suis pris une baffe dans la gueule, je n’ai pas dormi pendant huit jours. Ce sont les passeurs, ce sont les bonnes rencontres qui construisent un cerveau.
Maintenant, ça fait un demi-siècle que vous dessinez de la BD…
Oui, je viens de m’en rendre compte. Je n’ai rien contre Proust mais je suis toujours étonné qu’un mec comme moi puisse arriver à faire ce qu’il veut dans un pays qui le vénère lui, Sartre et Godard. Pour l’intelligentsia française, la science-fiction, ça a été longtemps de la merde. Et puis ces braves gens, quand Kubrick a fait 2001, ont été obligés de revoir leur position.
Avec l’accélération de la technologie, la science-fiction est-elle toujours pertinente ?
Les John Brunner, Philip K.Dick, Ray Bradbury, tous ces gens ont décrit parfaitement le monde d’aujourd’hui. Il est un peu dommage que les hommes politiques ne lisent pas de science-fiction. C’est incroyable : sur les plans politique, énergétique ou social, ces auteurs ont tout décrit ! Dans les années 50, Bradbury a écrit une nouvelle où un gamin n’a que des écrans dans sa chambre. J’ai entendu un reportage, certains aux Etats-Unis cherchent à créer des murs numériques pour les chambres d’enfant. Après, ce qui est inquiétant, c’est que, contrairement à ce qu’avançait Malraux, notre époque n’est pas du tout spirituelle. Pour revenir à la science-fiction, J’ai eu le choc il y a quelques années. Je prends le périph’ avec ma bagnole et je vois « Pollution : roulez à 60-70km ” Je me dis : ça y est. Avant, la bagnole était un instrument de liberté, de bonheur, c’est devenu un instrument de répression.
Comme la science-fiction, la BD a mis longtemps à être acceptée. Comment l’avez-vous vécu ?
Oui, maintenant, nous sommes dans les musées, dans les salles de vente… c’est fabuleux. Mais ça a été un combat, une bagarre insensée. Dans les années 60, quand je prenais le métro avec Hara Kiri et Pilote sous le bras, les gens se foutaient de ma gueule ! Pendant les dix premières années de ma carrière, je me suis vraiment battu pour la BD. Mais j’avais la rage, je me disais: « je ne peux pas être le seul à penser à cela ». A la sortie de mon premier album, Lone Sloane : Le mystère des abîmes, un journaliste m’écrit une critique d’assassin. « En fait Sloane, c’est juste un gardien de vaches perdu dans le cosmos« . Au lieu de me foutre à plat, il m’a rendu un merveilleux service, j’ai voulu lui montrer ce que je savais faire. Je travaillais comme une bête, ce n’était pas une punition mais un travail de bénédictin. Ce qui ne m’empêchait pas de faire la fête et de me défoncer la gueule, bien entendu. Et puis, si j’existe, c’est grâce à Goscinny et au journal Pilote. Après 1968, il y a eu une ouverture. Puis on a fondé Métal Hurlant avec Moebius et Dionnet. On était un groupe de rock : on s’est étripé, on s’est engueulé. Une bande de fous, quoi.
Dès le début des années 70, vous créez votre style unique. Comment est-ce arrivé ?
J’avais une vision, celle d’une planche de BD comme un écran de cinéma. J’ai voulu déstructurer le classique image par image. Mais ce n’est pas pour ça que je déteste l’école franco-belge. Au contraire, je vénère de manière délirante Hergé, Jacobs, Franquin. J’ai d’ailleurs connu Hergé mais je n’osais pas le voir parce qu’il m’impressionnait. Un jour, j’ose lui proposer en balbutiant de faire un échange de planches. J’avais peur de me prendre une tarte dans la gueule. Il me répond : “Avec le plus grand plaisir, venez me voir« . J’allais souvent à Bruxelles mais je n’ai jamais osé.
Dans la superbe monographie qui vous est consacrée, on découvre un dessin dans l’univers de Star Wars que George Lucas vous a commandé en 1977. Une fierté de l’avoir influencé ?
On s’est vu vaguement une fois mais il y a une vraie connivence entre nous. Nous avons une correspondance, je lui envoie à chaque fois mes bouquins. Après, il n’y a pas que Druillet qui l’a influencé. Pour les grands amateurs de science-fiction, nous les Moebius, Druillet (voire Bilal arrivé un peu après), nous faisons maintenant figure de fondamentaux. Moi qui, au départ, pensais faire un coup d’éclat…
La monographie revient sur une de vos œuvres-phare, l’adaptation de Salammbô signé Flaubert…
Oui. Et je n’ai jamais eu de reproche de la part de mon scénariste ! Quand Flaubert a publié Salammbô, un roman d’une sensualité et d’une énorme beauté, ça a été un triomphe. Il y a eu les sculptures de Théodore Rivière, quatre opéras. Evidemment l’intelligentsia préfère Madame Bovary dont moi je me bats les couilles et gravement. Quand j’ai fait Salammbô, j’ai suivi scrupuleusement le roman et tout réinventé…
Vos albums sont constamment réédités, rencontrez-vous un nouveau public ?
L’année dernière, je fais des séances de signatures. Je vois un gamin de 16 ans avec mon premier album. Il me dit : « Je ne connaissais pas, c’est nouveau, ça vient de sortir ? »... Trois gamins de 18-19 ans se ramènent séparément avec chacun un exemplaire de La Nuit (réalisé après la mort de sa femme, ndr). Ils ne se connaissent pas, font la file. Je ne dis rien aux deux premiers mais quand arrive le troisième, je ne tiens plus, je lui demande : « pourquoi as-tu acheté ce bouquin ?« . Le môme me répond: « ça arrache ! ».
Au final, avec Hollywood, au-delà de l’influence, il s’agit d’un rendez-vous manqué. Comment l’expliquez-vous ?
A un moment donné, Hollywood me demande et c’est tombé à un moment tragique : je perds ma première femme. Evidemment, je suis incapable de faire quoi que ce soit. Je vivrais peut-être aux Etats-Unis maintenant. Mais je préfère rester en France, même si c’est le bordel ambiant ! Pour revenir au cinéma, j’aurais dû travailler sur le film Buck Rogers mais je rate le coche. Quand je vais plus tard sur le tournage, je vois partout aux murs les planches de mes albums. A la même époque, j’ai reçu une proposition de producteurs japonais. Je refuse bêtement, ils piquent plein d’éléments aux aventures de Sloane et font San Ku Kaï. George Miller a, lui, déclaré que Mad Max vient de mon album La Nuit et ses motards. Ce qui m’a énervé, c’est que, quand j’ai voulu plus tard réaliser un film, on m’a répondu: « Désolé, il y a déjà Mad Max« .
La nouvelle monographie est publiée par Michel-Édouard Leclerc. Quelles sont vos relations ?
Il y a une histoire derrière ce livre, une amitié de plus de 20 ans. En 1990, Michel-Édouard a sauvé le festival d’Angoulême. A l’époque, il s’est fait engueuler par tout le monde: « Il va bouffer le festival« , etc. J’étais le seul à le défendre. Je suis le seul à le défendre.
Quels sont vos prochains projets ?
Adapter L’Enfer de Dante. J’ai le bouquin dans la tête. Même si c’est le plus grand dessinateur du monde, je ne vais pas faire du Gustave Doré, ce n’est pas l’époque. Je vais transposer le livre dans l’espace avec Sloane parce que j’ai besoin de ce personnage comme pilier de tout ce que j’ai fait. Je sais que je ne serai pas immortel mais je ne voudrais pas mourir tout de suite, j’ai encore plein de projets. Ça, c’est le destin qui décide. Francis Bacon est mort à 83 ans. Un jour, l’actrice Renée Saint-Cyr m’a dit : « Arrête de boire ! Francis Bacon a asséché trois fois la Tamise et tu n’y arriveras jamais ». 80 ans, ça me suffit. Mais en bon état, si possible. Après, chaque jour qui passe est un jour de gagné.
Philippe Druillet, éditions MEL, 360 pages, 49 euros. Rééditions de Vuzz et Yragael – Urm le fou aux éditions Glénat
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