Très prisés aux Etats-Unis, les ateliers de création littéraire restent plutôt mal perçus dans notre pays. Mais les esprits commencent à évoluer : dans les facs et jusque chez les grands éditeurs, le creative writing à la française prend doucement son envol.
« Le rythme ternaire est une salope. » Voilà l’unique phrase que l’on a retenue des quelques cours d’écriture auxquels nous avions droit en école de journalisme. Il nous fallait décrire des boulangeries ou des terrasses de cafés, à la manière de Choses vues de Victor Hugo. Rien que ça. C’est donc un peu perplexe que l’on se rend, pour les besoins de cet article, à un atelier de création littéraire près de la gare de l’Est, à Paris. Qu’allons-nous apprendre cette fois ? Que la métaphore est une chienne et le point-virgule une raclure ?
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Les locaux qui accueillent les Ateliers d’écriture Elisabeth Bing, institution pionnière créée en 1978, sont baignés de soleil. Sur la table, du café, des gâteaux secs et un livre intitulé Ecrire, de la page blanche à la publication, dans la collection Guide des premiers secours. L’atelier auquel je participe – condition sine qua non pour y assister – est consacré à l’écriture autobiographique. Les membres du groupe arrivent. Six femmes, un homme; moyenne d’âge plutôt élevée. Tous s’installent autour de la table et discutent de leurs dernières lectures. La Vérité sur l’affaire Harry Québert, le best-seller de Joël Dicker, fait l’unanimité contre lui : « C’est toujours la même chose », critique Mireille, qui sort de son sac le dernier Paul Auster, Chronique d’hiver.
La séance commence. Comme me l’a expliqué Isabelle Mercat-Maheu, l’animatrice et présidente des Ateliers, chaque session débute par une « proposition d’écriture ». Aujourd’hui, elle a choisi un extrait du livre Les Pays de Marie-Hélène Lafon. A partir de ces quelques lignes, nous avons trois quarts d’heure pour composer un texte sur le thème « Ceux qui aident et ceux qui n’aident pas ». « Ceux… ou ce », précise Isabelle Mercat-Maheu. Moment de flottement dans l’assistance. Puis, tout le monde se lance. Certains écrivent sur ordinateur, d’autres sur des cahiers ou des feuilles volantes. Une fois les trois quarts d’heure écoulés, chacun lit son texte. L’animatrice fait quelques remarques. L’atmosphère est bienveillante.
Si ça ne ressemble pas complètement à une thérapie de groupe, comme on pouvait le redouter, cet atelier n’a rien non plus des usines à Pulitzer US. Aux Etats-Unis, les ateliers de creative writing sont légion. Ils existent depuis la fin du XIXe siècle et jouissent d’une réelle considération. Souvent rattachés à de grandes universités, ils sont animés par des écrivains renommés comme Joyce Carol Oates ou Jonathan Safran Foer. Celui de l’université de l’Iowa est l’un des plus prestigieux. John Cheever et Philip Roth l’ont fréquenté.
Pour autant, même si les ateliers de création littéraire sont bien mieux perçus aux Etats-Unis ou en Angleterre qu’en France, leur pertinence y fait aussi l’objet de débats. Car ils soulèvent une question à haut potentiel polémique : peut-on réellement apprendre à écrire ? L’écriture peut-elle être considérée comme un métier, au même titre que la plomberie ou la chirurgie, qui nécessiterait l’enseignement de techniques et d’un savoir-faire? Sans compter le risque de formatage qu’une telle conception implique. Les ateliers d’écriture fabriquent-ils des écrivains-clones ? Pour David Delannet, cogérant de la librairie anglophone Shakespeare and Co à Paris, qui accueille des ateliers d’écriture, ce risque est une réalité : « Je me souviens que nous avions reçu, dans le cadre de nos ateliers, Justin Torres, l’auteur de Vie animale. Son premier roman est un très bon livre, mais on y perçoit clairement l’influence de Marilynne Robinson, la grande gourou de l’Iowa workshop. » Les « gourous » du creative writing ont leurs mantras et leurs modes. Dans les années 50, la tendance fut au « show, don’t tell » (montrez, ne dites pas) ; l’heure semble aujourd’hui au « trouver sa voix », dans un esprit plus « développement personnel » qui colle bien à l’époque.
La France reste encore hermétique à ce genre de pratiques. « Ici, la plupart des ateliers d’écriture sont perçus comme des animations socioculturelles destinées à une population jeune en voie d’insertion, en prison ou dans des lycées, constate le sociologue Bernard Lahire, spécialiste du champ culturel et auteur de La Condition littéraire. Ce ne sont pas des lieux où l’on apprend à devenir écrivains. Cette idée-là choque profondément les romanciers français. C’est un mystère si on compare l’écriture à d’autres arts qui ont le même type de légitimité, les mêmes ambitions, le même mythe du génie créateur. Personne ne s’offusque de l’idée que la musique ou la peinture s’apprennent. Mais pour beaucoup d’écrivains, l’écriture est quelque chose de très personnel, de l’ordre d’une nécessité intérieure. Leur pulsion expressive est très éloignée de l’idée de compétence et de métier. »
« En France, on croit encore que l’on naît écrivain », déplore pour sa part Alain André, directeur des ateliers Aleph, qu’il a fondés en 1985 : « Jeune prof de lettres à la fin des années 70, je n’aimais pas trop ce qu’on me demandait de faire. Alors j’ai commencé à me renseigner sur les ateliers d’écriture. A l’époque, il y en avait de deux sortes : les formalistes dans la lignée du Nouveau Roman, et les spontanéistes, plus baba cool, dont le but était de créer du contact, voire de se toucher et plus si affinités. » Alain André témoigne du mépris dans lequel sont tenus les ateliers : « Quand j’ai publié mon premier roman chez Denoël, Olivier Rubinstein (ancien directeur de la maison d’édition – ndlr) m’a dit : ‘Pas un mot sur vos ateliers d’écriture en quatrième de couverture ! Ça sent trop la sueur’. »
Les auteurs français passés par des ateliers préfèrent s’en cacher. Pourtant, beaucoup d’écrivains à succès en auraient suivi, à en croire Isabelle Mercat-Maheu. Un des rares romanciers français à revendiquer une telle formation (à Columbia, tout de même), c’est Katherine Pancol, l’auteur des livres à succès aux titres animaliers. Pas sûr qu’un tel pedigree contribue à redorer le blason des ateliers d’écriture de ce côté-ci de l’Atlantique. Pourtant, selon Alain André, les choses évoluent. Les ateliers d’écriture seraient même en train de gagner peu à peu leurs lettres de noblesse. Preuve ultime, les éditions Gallimard ont créé leurs propres ateliers – les Ateliers de la NRF – l’an dernier. Au moment de leur lancement, ce sont surtout leurs tarifs (1 500 euros pour huit séances et vingt-quatre heures en tout, soit environ 62 euros de l’heure) qui avaient fait sensation.
Editeur, écrivain et animateur d’ateliers chez Gallimard, Jean-Marie Laclavetine reconnaît que « sur le plan financier, c’est une affaire rentable », tout en précisant que les prix ont été calqués sur ceux des ateliers des éditions londoniennes Faber & Faber, qui ont servi de modèle à la « Gallimard Academy ». « Mais ces ateliers font surtout mieux connaître notre maison volontiers enfermée dans une image un peu sévère et hautaine, poursuit Laclavetine. Ils offrent la possibilité d’amener de la vie, d’ouvrir la maison sur l’extérieur. »
Aucun participant n’avoue clairement son désir d’être publié un jour. D’ailleurs, suivre les Ateliers de la NRF ne constitue pas une garantie de voir un jour son nom sur la fameuse couverture crème au liseré rouge. Pour Jean-Marie Laclavetine, ces groupes ne sont pas des viviers d’auteurs potentiels, ni une fabrique de futurs J.K. Rowling ou autres écrivains bankable :
« Je sais qu’il y a des livres qui proposent des recettes, du type ‘comment écrire un best-seller en trois leçons’, mais ce n’est pas du tout ma perspective. Ici, il n’y a aucun formatage possible parce que le travail est entièrement basé sur des pratiques individuelles. »
Pour aider ses « élèves » à s’améliorer, l’écrivain leur donne des exercices, comme écrire des textes à partir des Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon. Il les conseille également sur la ponctuation, la construction de leur récit.
Autre signe de cette nouvelle respectabilité, les masters de création littéraire qui commencent à éclore dans les universités. Le premier a ouvert ses portes en octobre, au Havre. Un autre verra le jour à Paris-VIII à la rentrée prochaine. Sur le site internet du master du Havre, on peut lire : « Métiers visés : écrivain, scénariste, artiste ».
Editrice et romancière (son dernier livre, Soliste, vient de paraître chez Inculte), Laure Limongi est intervenue, comme d’autres auteurs, dans le cadre du master havrais. Elle préfère mettre les choses au point :
« Il faut être clair et ne pas vendre aux étudiants qu’on leur apprend à devenir écrivain. Si on leur dit qu’ils vont tous être publiés chez Gallimard, on va finir cloués à une porte. Il faut déjà apprendre à écrire. Il y a aujourd’hui un vrai problème rédactionnel. Les gens ne savent plus écrire. Je vois des stagiaires qui ont fait leur mémoire sur Borges et qui ne savent pas aligner deux phrases correctes. »
Reste que le regain d’intérêt que suscitent les ateliers de création littéraire traduit un attachement très fort à la chose écrite et au livre. C’est plutôt une bonne nouvelle.
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