Que disent des contes comme “Peau d’Âne”, “Cendrillon”, et “Le Petit Chaperon Rouge” à nos enfants ? Entre domination masculine, inceste et violence, les contes de petites filles cachent parfois les réflexes misogynes les plus crasses.
Nous avons été nombreuses, enfants, à commander pour Noël une “robe de princesse”. C’est-à-dire une robe forcément rose et à paillettes et à volants, comme celles des princesses des contes de fées que nous adorions. Nous avons désiré avoir une robe couleur de temps, couleur de lune ou couleur de soleil. C’est tout ce que nous avions retenu de Peau d’Âne, pressées de refouler l’essentiel trop violent de ce conte ultra-dark : l’inceste. Ce conte nous disait que, devenues jeunes adolescentes, les filles ne doivent pas être trop désirables, sinon leurs pères voudront les violer. Les jolies robes relevant d’un art du grooming opéré par nombre de prédateurs sexuels. D’ailleurs, c’est seule une peau d’âne qui protège la jeune fille des pulsions monstrueuses de son père, la rendant méconnaissable, repoussante. Afin de mieux nous mettre tous·tes en garde, Judith Godrèche a cité plusieurs fois Le Petit Chaperon rouge, conte qui prévient les petites filles des dangers du grand méchant loup, qui peut avancer masqué (revêtir l’apparence bienveillante de la grand-mère) pour mieux nous tuer. Les contes sont-ils tous des mises en garde à l’usage des enfants ?
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Quand nous avons finalement reçu notre robe de princesse pour Noël, nous avons tournoyé sur nous-mêmes, dix, vingt, trente minutes, puis nous nous sommes assises sur notre lit sans plus savoir que faire. Car que fait une princesse de conte de fées ? Rien. Si les deux premiers contes cités nous parlent du désir sexuel des hommes pour des enfants, donc de viol, d’autres contes nous présentent des situations de femmes qui ne peuvent être aimables qu’en ayant les mêmes caractéristiques que les petites filles : vulnérables, sans défense, fétichisées, bref, passives. Dans Cendrillon, la jeune fille n’a rien à faire, sinon enfiler un soulier ; dans Blanche-Neige ou La Belle au bois dormant, elle dort, sommet de l’inaction, et c’est l’action d’un autre qui la réveille (le baiser du prince). Chacune est sauvée par un homme, riche, bien sûr.
Le cliché féminin
Les filles n’auraient donc rien d’autre à faire qu’être jolies, serviables, quasi mortes (Blanche-Neige), déjà dominées (Cendrillon). Surtout pas penser, ni prendre leur vie en main. On peut faire aux contes le procès de véhiculer l’image d’une femme prête à la soumission, dont seule la faiblesse est attirante et qui ne pourra être “sauvée” qu’en épousant un homme puissant. Et de transmettre un cliché féminin de leur temps – du XVIIe siècle pour Charles Perrault, dans Le Petit Chaperon rouge, La Belle au bois dormant et Cendrillon –, qui, encore promu auprès des enfants aujourd’hui, risque de conditionner les filles à la passivité et les garçons à ne désirer que des filles à dominer.
Car qu’est-ce que le désir de ces hommes mûrs pour des filles-enfants, sinon un pur désir de domination ? Dominer qui ne peut les contredire, les défier, les dépasser, qui ne peut être leur égale ; dominer qui ne serait, par l’âge, que leur “inférieure”, comme l’est la domestique dont les Victoriens abusaient en toute impunité ou la bonne noire que les colons faisaient venir dans leur chambre. Il s’agit d’un désir colonisateur caché dans de pseudo-considérations esthétiques qui ont imposé le culte de la jeunesse comme seul critère de beauté, faisant ainsi violence – symbolique ou réelle – à des millions de femmes se pensant bonnes pour la casse après 35 ans, s’imposant chirurgie et famine pour ressembler à une beauté “mignonne” calquée sur des traits infantiles, se mettant en position de compétition farouche avec les autres femmes.
Mises en garde
Charles Perrault a écrit Le Petit Chaperon rouge dans le but très clair de prévenir les filles et les femmes des dangers qui les guettaient dans les forêts, de leur dire de se méfier des apparences, et des hommes. Mais que nous dit-il exactement avec Cendrillon ou Blanche-Neige ? Qu’il faut aussi se méfier de la jalousie de certaines femmes qui se sont laissé piéger par le souci tyrannique de devoir plaire aux hommes pour être “sauvées”. La reine et son miroir dans Blanche-Neige, qui y vérifie chaque jour sa beauté et sa jeunesse dans un esprit de compétitivité abject, qui voudra “la peau” de sa belle-fille plus jeune ; les sœurs de Cendrillon, qui passent leur temps à se pavaner en robes et bijoux et ont besoin d’une esclave (qu’elle jalouse) pour accomplir les tâches ménagères qui risqueraient de leur casser un ongle.
Oui, les contes nous mettent en garde – contre les apparences et contre la domination, qui semblent aller de pair dans une danse mortifère. Il n’est donc pas grotesque de continuer à les lire aux enfants, garçons et filles. Rien n’empêche de leur parler, un jour aussi, des livres de Vanessa Springora et Neige Sinno, d’Ovidie et Mona Chollet. Et bien sûr de Christine Angot – car en littérature, le MeToo français a commencé depuis longtemps.
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 29 février. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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