Avec cette nouvelle collaboration, Philippe de Pierpont et Eric Lambé abordent un moment de la vie de Fany, une jeune femme terrassée par le deuil. Intense et dépouillé.
Il y a d’abord ce tableau de débâcle militaire qu’elle observe dans un musée et dont elle ne peut se détacher. Des corps fracassés, démembrés, des chevaux à terre. Brisée, terrassée, telle est Fany après un drame que l’on ne connaît pas mais que l’on va rapidement soupçonner.
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Fany fuit et arrive seule avec sa petite valise, en plein hiver, dans un camping perdu, où elle s’installe dans une caravane spartiate. Elle s’isole, tente d’éviter ses rares voisins – un couple de retraités qui fabrique des nichoirs à oiseaux, un ancien boxeur miné par la vie, un gardien qui fait des puzzles à défaut de faire le tour du monde. Cet entourage, intrigué et/ou bienveillant, tente d’établir la communication, et des maigres liens se tissent qui empêchent Fany de sombrer.
Dans cette quatrième collaboration, Eric Lambé et Philippe de Pierpont explorent la représentation du deuil et de la douleur intime. Le récit est dépouillé, les cases, grandes, quasiment muettes, sont parfois presque vides.
Quelques petites touches de couleur
Cette économie de moyens signifie pourtant beaucoup de choses. Etendues glacées, routes désertes, arbres nus, silhouette d’un silo au loin… les décors extrêmement simples et nus ressemblent à ce qu’est devenue la vie de Fany, à son propre paysage mental et affectif. Le dessin, sobre, s’échappe même parfois du fil narratif pour se faire abstrait. Le corps de Fany devient ce galet avec lequel elle fait des ricochets, ou se dissout dans la douche préfabriquée du camping – comme Fany, le trait tente de disparaître.
Par petites touches de couleurs qui éclairent sporadiquement le lavis gris souris de l’album, Eric Lambé montre néanmoins que Fany peut encore être touchée par les autres, leurs problèmes et leurs marottes, mais aussi par la nature. Un merle attentif, sorte de fil rouge, l’accompagne, comme les chansons Blackbird des Beatles et Le Courage des oiseaux de Dominique A, qui débutent et terminent le récit. Petit à petit, Fany acceptera de se rappeler ce qui s’est passé, pourra le formuler.
Dans Paysage après la bataille, sublime de retenue, Eric Lambé et Philippe de Pierpont ont trouvé une voie subtile et pudique pour parler du deuil et de la vie d’après, avec les fantômes. Anne-Claire Norot
Paysage après la bataille (Actes Sud BD/FRMK), 420 pages, 29 €
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