Une fille, deux hommes : dans « La Vie est brève et le désir sans fin », Patrick Lapeyre raconte la chronique mélancolique d’un amour sans issue.
Evidemment, le motif du septième roman de Patrick Lapeyre rappelle Jules et Jim, sauf que si Nora Neville a l’air aussi éthérée qu’une Jeanne Moreau papillonnant entre deux garçons, l’auteur signe plutôt un “Monsieur Bovary” contemporain, distancié et désabusé, qui n’en finira pas moins dans la tragédie.
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Une jeune fille que ses amants assènent comme irrésistible – on n’en aura jamais la preuve – revient auprès du protagoniste principal, Louis Blériot, deux ans après l’avoir quitté sans explication. Traducteur de notices pharmaceutiques, Blériot est marié, vit à Paris, gère de loin des parents difficiles et ne demande qu’une chose : retomber fou amoureux de cette fille mystérieuse, actrice inachevée qui se rêve en héroïne de Tchekhov. Les chapitres vont alterner entre ceux décrivant la vie de Blériot qui court la rejoindre dès que sa femme a le dos tourné, et ceux où Murphy, l’amant trader et américain qu’elle vient de plaquer à Londres pour retrouver Blériot à Paris, traîne sa dépression d’amoureux délaissé.
Blériot et Murphy, amants sans envergure
Il y a quelque chose de fascinant dans ce que Lapeyre, par petites touches, remarques infimes, aussi drôles que mélancoliques, parvient à capturer : une vision masculine et contemporaine de l’amour, c’est-à-dire parfaitement antihéroïque. Romantiques et falots, passionnés incapables d’actes passionnels, amants sans envergure et sentimentaux déprimés, Blériot comme Murphy aiment Nora sans actes déterminants, sans déclarations définitives. L’un comme l’autre sont aimantés tout autant qu’effrayés par une absence : cette phrase jamais formulée que la jeune femme incarne, cette prière d’être choisie, exigée, sauvée, jamais dite.
Nora ne demande rien, n’explique rien. Et face à son corps sans cesse en disparition (elle passera le roman à disparaître de la vie de l’un pour réapparaître à l’autre), chacun de ces hommes se laisse piéger par l’insoluble qu’elle représente. Une femme qui, elle aussi, l’a aimée un temps, en donnera une parfaite définition, la comparant à un personnage des Chroniques martiennes de Ray Bradbury : “En fait, sans le vouloir, il prend à chaque fois le visage de celui ou de celle que l’autre attendait depuis des années. Comme s’il devenait la projection de son désir.” Un désir dont les hommes, chez Lapeyre, ont peur : Blériot ne quitte pas sa femme, Murphy ne lui demande jamais de rester, et Nora finira par radicaliser dangereusement son processus de disparition.
Le livre se noie dans le tragique
C’est là où cette chronique d’un adultère vécu côté mec, avec son lot de petitesses et de grandeurs, bascule dans une tragédie digne de Tendre est la nuit, où Nora, pourtant fille moderne, se noie dans le destin d’une héroïne des années 20, et le lecteur dans un anachronisme brutal. Dommage.
Car les filles d’aujourd’hui, heurtées par la nonchalance des hommes de leur temps, se relèvent quand elles tombent, s’achètent une paire de chaussures, s’épanchent chez leur psy et lisent Patrick Lapeyre. Parce qu’il excelle à lever le voile sur les détails les plus prosaïques pour en révéler une vérité qui échappe au premier regard. Quand, par exemple, Nora revient à Murphy et que celui-ci l’invite au restaurant : “A cet instant, il paie pour qu’elle reste avec lui, pour qu’elle cesse de lui mentir, pour qu’il cesse de penser qu’elle lui ment et pour que leur vie ait encore un sens. Tout est compris dans l’addition.” C’est rarement faux.
La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L), 352 pages, 19,50 €. Les vingt premières pages sont publiées sur le site de P.O.L.
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