Avec Le Livre du dedans, Patrick Bouvet publie un beau récit autobiographique en forme de collage, pour dire sa passion éternelle de la lecture.
Depuis toujours, Patrick Bouvet expérimente et déroute par sa façon de travailler sur l’interdisciplinarité : il est écrivain, plasticien, compositeur, auteur pour le théâtre. Son nouveau livre, assemblage de courts paragraphes disséminés au fil des pages, tient autant de la poésie sonore que de l’installation d’art contemporain.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le présent et dans l’ailleurs romanesque
Le Livre du dedans explore la découverte de la lecture, dans l’enfance. L’écrivain se revoit petit garçon en train de lire, allongé sous la table de la cuisine, entouré des autres membres de la famille. Mais il ajoute à son texte des extraits de romans de H.G. Wells ou Jules Verne. Le procédé lui permet de traduire en écriture l’état d’esprit spécifique au lecteur de fiction, plongé à la fois dans le présent et dans l’ailleurs romanesque.
« J’utilise des échantillonneurs qui permettent de prendre des bouts de sons à droite à gauche, et peut-être ce geste-là est-il à l’origine de ma démarche d’écriture »
L’auteur a souvent expérimenté cette technique du collage au point qu’on le qualifie parfois d’écrivain-plasticien. Lorsqu’on le questionne au téléphone, il explique : « Je trafique toujours mes textes. Je les manipule, je les coupe, parfois même physiquement, avec des ciseaux et de la colle j’agence autrement, pour voir. C’est également présent dans ma pratique musicale, j’utilise des échantillonneurs qui permettent de prendre des bouts de sons à droite à gauche, et peut-être ce geste-là est-il à l’origine de ma démarche d’écriture. Cela dit, jusqu’à maintenant, j’utilisais dans mes livres ce que je trouvais dans des magazines, des dépêches AFP – je m’étais interdit d’emprunter à des œuvres littéraires. Là, c’était un peu comme quand on fait un herbier, enfant. J’avais envie de collectionner de la littérature. »
« Il me fallait évoquer mon environnement familial »
Peu à peu, le romancier parvient avec finesse à faire revivre l’atmosphère de la maisonnée. Les discussions autour du prix d’un livre à acheter, la mère qui a été « contrainte d’arrêter l’école à 14 ans », le journal du père, le tiercé du dimanche. Car au projet initial de parler des romans fondateurs est venu s’ajouter celui d’écrire sur l’enfance elle-même. Bouvet explique : « Je n’ai pas pour habitude de raconter ma vie, mais là il me fallait évoquer mon environnement familial. Car je me suis aperçu qu’il y avait des choses que j’avais attrapées. Quand j’ai revu le journal que mon père lisait, il s’appelait Spécial Dernière, sa mise en page assez confuse m’a frappé, avec différentes polices de caractères. Je me suis rendu compte que je fais ce genre de choses avec mes collages. »
Bouvet travaille toujours ainsi, autant sur le blanc de sa page que sur le texte, là encore dans une démarche de plasticien
Une nostalgie infinie baigne ce beau récit qui prouve encore, si besoin était, que l’expérimentation littéraire peut être porteuse d’émotion. Surtout, les souvenirs sont à peine suggérés, retenus en une sorte d’épure. Bien sûr, Bouvet travaille toujours ainsi, autant sur le blanc de sa page que sur le texte, là encore dans une démarche de plasticien. Mais ici, ce refus de se laisser aller à un flot de paroles porte une autre signification : « Ma mère ne m’a jamais raconté grand-chose sur son passé, c’était très pudique, j’attrapais des bribes de conversations. Cette économie de mots dans le livre correspond à une réalité. J’ai découvert que c’était quelque chose que j’avais poursuivi et que cela pouvait devenir de l’art. »
Le Livre du dedans (L’Olivier), 132 p., 13,50€. Sortie le 16 mai
{"type":"Banniere-Basse"}