Après l’imposante somme de l’historien Ian Kershaw, fondée sur une approche socio-historique, une nouvelle et monumentale biographie de Hitler par l’Allemand Volker Ullrich permet de mieux cerner la personnalité schizoïde du personnage qui incarne toujours, des décennies après sa disparition, le Mal absolu.
On recense pas moins 12 000 ouvrages sur Adolf Hitler, et pourtant une nouvelle et copieuse biographie va sortir en France, traduite de l’allemand, en deux parties. Encore une biographie de plus pour le sinistrissime personnage de l’Histoire, personnification du Mal absolu ? Il semble que le Führer fascine encore, comme l’a montré le succès du film La Chute avec la prestation époustouflante de Bruno Ganz ou l’engouement ambigu pour la réédition en Allemagne de Mein Kampf. Hitler incarne plus que tout autre un passé qui ne ne veut pas passer, et qui même – pour les plus pessimistes – pourrait bien revenir.
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On croyait pourtant que le célèbre historien anglais Ian Kershaw avait délivré l’ouvrage de référence, « un massif central” selon le directeur de la Frankfurter Allgemeine Zeitung avec ses deux volumes monumentaux Hubris et Nemesis parus en 1998 et 2000. Volker Ullrich, le journaliste allemand qui signe cette nouvelle bio, elle aussi monumentale, est persuadé au contraire que de nouveaux éléments sont apparus depuis vingt ans et qu’ils permettent un éclairage plus précis du personnage, en particulier de sa personnalité profonde. Ce sont d’ailleurs les parties qui traitent de l’individu Hitler qui forment les passages les plus intéressants de son livre.
Un “dictateur faible” ?
Le livre d’Ullrich se veut à la fois une réponse et un prolongement des interrogations de Kershaw sur l’énigme du pouvoir hitlérien. Comment un individu médiocre, un outsider, avait-il pu parvenir à la tête de la nation de Goethe et de Hegel, et l’entraîner dans l’apocalypse ? Les historiens étaient divisés. Pour les “hitlérocentristes”, c’est Hitler en personne qui jouait un rôle prépondérant, du fait sa personnalité psychopathique et de son pouvoir dictatorial. Les « structuralistes », souvent d’inspiration marxiste, privilégiaient les « structures lourdes » – grand capital, Etat, armée – dont les dynamiques auraient abouti à des résultats similaires même si Hitler n’avait pas existé. Celui-ci n’était qu’un « dictateur faible », un pantin manipulé par des forces profondes.
Kershaw affirmait résoudre le problème en s’appuyant sur le concept, forgé par Max Weber, de « domination charismatique ». Le leader charismatique, tel Hitler, n’est pas forcément doué de qualités extraordinaires, mais il cristallise les attentes de la société, qui lui attribue des capacités inouïes et « dont il devient le maître, aussi longtemps qu’il fait ses preuves « . Selon Kershaw si le porteur de qualités « charismatiques » jouit effectivement d’un authentique pouvoir, ce pouvoir émane en réalité des attentes placées en lui par ceux qui l’entourent.
Mais dans cette optique, la personnalité du Fuhrer disparaît. En dehors de la vie politique, il n’y a plus rien. Volker Ullrich veut lui redonner un corps et un esprit, et montrer qu’on passe à côté de bien des explications si on ne voit en Hitler qu’un pantin ballotté par des forces plus grandes que lui. Le peintre raté avait su utiliser les failles de son psychisme tourmenté pour en faire des armes qui lui permettront d’accéder et de se maintenir au pouvoir.
“Une énigme pleine de contradictions”
Dans un chapitre intitulé “L‘homme Hitler”, l’historien tente de mettre au jour les secrets de cette personnalité schizoïde. Une tâche quasi impossible, comme l’ont avoué ceux qui l’ont approché. Albert Speer, l’architecte de Hitler, déclarait en 1945 que sa personne restait pour lui “une énigme pleine de contradictions et d’oppositions tranchantes”.
Volker Ullrich règle rapidement leur compte aux rumeurs qui ont circulé récemment, prétendant que Hitler avait des organes génitaux anormalement constitués. Il assure également que les allégations sur ses tendances homosexuelles ne reposent sur aucune preuve solide. Ses relations avec les femmes n’en sont pas moins ambiguës et mystérieuses.
De nombreux témoignages révèlent que, contrairement à une idée répandue, Hitler disposait de « capacités intellectuelles hors du commun”, et d’une mémoire stupéfiante, mais, enfermé dans son antisémitisme obsessionnel, il faisait preuve de “primitivité et d’obstination intellectuelle”. Cet “homme sans qualités”, d’une médiocrité qui sautait aux yeux de ceux qui le rencontraient en privé, parvenait à se transformer en orateur flamboyant capable d’entraîner les foules, un comédien né qui préparait soigneusement ses prestations pour leur donner l’apparence de la spontanéité.
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Finalement, face à ce pavé de milliers de pages, on retire l’impression que c’est encore et toujours Chaplin qui a réussi dans Le Dictateur à donner l’image la plus proche du personnage à double face, qui restera à jamais une énigme. Mais comme l’écrivait Thomas Mann dès 1939, si Hitler est « une catastrophe”, “personne n’est dispensé de se préoccuper de ce triste personnage”.
Adolf Hitler, une biographie, tome I : L’ascension, 1889-1939 de Volker Ullrich
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