En 2013, trois ans après son Goncourt, Michel Houellebecq revient à ses premières amours et publie un recueil de poésie, “Configuration du dernier rivage”. L’occasion de parler avec lui de son travail, des femmes, du bonheur.
Le nouveau roman de Michel Houellebecq sortira le 7 janvier 2022 chez Flammarion. Pour patienter, Les Inrockuptibles revisitent ses précédents livres, ses grands entretiens et ce qu’il nous dit depuis près de trente ans de la société française.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cet entretien a été réalisé en 2013.
À peine installé dans le bureau de son éditrice chez Flammarion, Michel Houellebecq sort un paquet de Marlboro et une cigarette électronique : “La conséquence qu’il y a à vieillir, c’est qu’on n’a plus envie de se laisser emmerder. Plus jeune, on veut bien faire des concessions, parce qu’on croit que ça va servir… En théorie, ça sert mais, si je réfléchis bien, je ne vois pas à quoi ça m’a servi. On fait des concessions parce qu’on en attend des avantages, mais comme en vieillissant on n’attend plus rien de la vie…” Dans la vie, Michel Houellebecq est d’une lucidité aussi mélancolique et rôle que ses romans. Une lucidité qui pourrait ne mener qu’au désespoir s’il n’y avait la possibilité d’une île – un instant de bonheur, partagé avec l’autre. C’est ce qui traverse Configuration du dernier rivage, son nouveau recueil de poèmes. Il y a quelque chose de touchant à voir un auteur aussi connu, couronné par le Goncourt avec La Carte et le Territoire (2010), éprouver régulièrement la nécessité de revenir à un genre aussi peu lu, mais qui inaugura son écriture – lui qui a commencé en publiant de la poésie dès 1988 (“Quelque chose en moi” dans La Nouvelle Revue de Paris).
Répartis en cinq sections (“L’Etendue grise”, “Week-end prolongé en zone 6”, “Mémoires d’une bite”, “Les Parages du vide” et “Plateau”), c’est comme si ces poèmes permettaient de sortir la phrase typiquement houellebecquienne (romantique, contemporaine, courte, parfois brutale, jouant sans cesse entre effets de banalité, d’ordinaire quotidien, et lyrisme) de la gangue du roman, pour mieux la donner à lire. L’émotion affleure plus directement, les sentiments se dévoilent plus facilement, le romantisme s’y affirme plus évidemment. Le temps d’une quête sans cesse renouvelée : la possibilité d’une dernière épiphanie, avant la mort.
Pourquoi reviens-tu à la poésie ?
Michel Houellebecq – Simplement parce que j’avais suffisamment de poèmes pour faire un recueil. A un moment, j’en avais mis sur internet, mais Apple a cessé de maintenir le logiciel et mon site a disparu… Finalement, je suis sûr que ça finira mal, le livre numérique (rires)… Il y aura un moment où quelqu’un va décider de ne pas maintenir certains logiciels et tout va disparaître. Donc même si peu d’exemplaires se vendent, ça vaut quand même le coup de faire des livres de poésie. Internet a pourtant l’air plus adapté, car la véritable entité c’est le poème, pas le recueil, mais j’ai perdu confiance dans la capacité du net à maintenir les choses vivantes sur la longue durée. Au fond, je me réjouis de l’échec en France du livre numérique. J’avais un iPad et je l’ai revendu, parce que ça m’ennuyait. C’est un peu honteux à dire, mais je préfère lire un mauvais livre sur papier qu’un bon livre en numérique. On annonce la disparition du papier, mais je n’y crois pas du tout. Et puis l’aspect ameublement du livre reste très agréable. C’est quand même l’un des plus jolis objets fabriqués. C’est beau une bibliothèque, dans un appartement.
Dans ta bibliothèque, il y a plus de romans ou de poésie ?
Je lis quand même plus de romans que de poésie, mais la poésie je ne la jette jamais, alors qu’il y a pas mal de romans dont je me débarrasse. Comme je préfère lire des romans moyens que rien du tout, j’ai pas mal de livres moyens, et il y a des livres que je trouve tellement mauvais que je les jette exprès pour que personne ne les lise. Je ne dirai pas les noms parce que je suis devenu gentil (rires). Quand même un : Bernard Werber. Je ne sais pas pourquoi, Bernard Werber m’énerve. Lui, je le jetterais. Pourtant, je ne suis pas du tout moraliste, les gens peuvent lire des mauvais livres, ça ne me dérange pas. On est quand même toujours un peu créatif quand on lit.
Quand as-tu écrit les poèmes de Configuration… ?
Pour certains il y a longtemps, comme celui en huit parties intitulé “HMT”, puisque j’y utilise la fin de La Possibilité d’une île. Mais il y en a de très récents, comme les deux premiers du recueil, qui sont très courts, plus dépouillés, très différents de ce que j’ai écrit avant. Mais je n’ai pas l’impression, depuis le temps que j’écris de la poésie, d’avoir évolué. Dans le style, La Poursuite du bonheur n’est pas très différent de Rester vivant. Les seuls poèmes qui changent, dans Configuration…, sont donc les tout premiers, et puis les tout derniers, où je n’y comprends presque rien. Le premier vers du dernier poème, “Le maître énamouré en un défi fictif”, je ne sais pas ce que j’ai voulu dire. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques intéressantes de la poésie : il y a des phrases qu’on ne comprend pas, mais qui ont un intérêt. Ça correspond aussi à ce qui peut arriver dans la vie : on ne comprend pas tout ce qui se passe, et pourtant on est obligés de s’intéresser (rires). Ça m’est arrivé de regarder le manège des gens dans la rue et de ne pas saisir ce qui se passait. Et ça arrive souvent avec les rêves ; il y en a qui sont difficilement interprétables mais que tu trouves vraiment intéressants. Alors que le roman est en grande partie basé sur le fait qu’il y a un enjeu pour les personnages. Rien que ça, ça justifierait l’existence de la poésie : l’existence de moments ou de situations qu’on trouve intéressants mais sans enjeu.
Par rapport au roman, qu’apporte encore la poésie ?
Le champ de la poésie est à la fois plus large car il permet l’illisibilité, l’incongruité totale, et en même temps plus restreint parce qu’il y a des sujets qui ne passent absolument pas. Par exemple, c’est assez facile dans un roman d’intéresser des gens à la modification d’une dette après des intermédiaires successifs, alors qu’écrire un poème là-dessus, je ne vois pas… Ou prenons quelque chose que j’ai moi-même essayé : la pornographie. Longtemps, j’ai dit que les poèmes pornographiques de Verlaine étaient bons, mais en les relisant je ne les trouve pas si bons que ça. Pierre Louÿs, qui a écrit de bons romans pornographiques, essaie d’écrire de la pornographie en sonnets, dans une forme classique, et ça ne colle pas du tout.
Tu ne consacres pas de poème à ton prix Goncourt, par exemple…
Les intérêts sociaux, les intérêts tout court, passent mal en poésie. Pour écrire le social, il faut définir des personnages, sinon on n’arrive pas à définir la chose ; alors que dans le poème, je crois qu’en général c’est toujours l’humain qui parle. Dès lors, il y a beaucoup de sujets qui tombent.
La poésie aurait forcément une dimension romantique ?
Pour moi oui, car je suis romantique. Mais il y a d’autres formes poétiques. Chez Ezra Pound, il y a une tentation encyclopédique, qui fait appel à l’humain comme sujet connaissant plutôt que ressentant… Moi, je suis clairement un lyrique, toujours du côté du sujet ressentant, davantage en poésie que dans le roman. Dans le roman, j’aime introduire des considérations historiques, alors qu’en poésie ce n’est pas possible.
Ton lyrisme est quand même très contemporain, ni emphatique ni déclamatoire…
Avant, j’ai pu être emphatique, plus maintenant. Je peux utiliser pas mal de formes, par exemple l’octosyllabe. Mais l’alexandrin me paraît trop déclamatoire. Quand j’écris de la poésie, c’est le premier vers qui va dicter la forme du poème, c’est quand je vais à la ligne que la forme se définit. Après, pour le classement des poèmes en recueil, il faut juste que ça glisse. Et quand ça ne glisse plus, quand il y a une coupure, c’est souvent là où je change de partie.
Configuration du dernier rivage, “Absences de durée limitée”… Tu aimes toujours autant les formulations techniques ?
Je pensais récemment à Aurélien Bellanger. Dans La Théorie de l’information comme dans Les Particules élémentaires, le livre est réussi malgré les passages scientifiques, davantage que grâce à eux. Il y a une réelle difficulté d’intégration du contenu scientifique dans un roman, à l’inverse de la poésie : tous les vocabulaires passent, parce que la question de la compréhension est moins importante. Le désir de comprendre dans un roman est réel, alors que dans la poésie, scientifique ou pas, les mots sont des mots. Tout redevient un peu à égalité. Le vocabulaire scientifique appartient vraiment au XXe siècle. Les symbolistes et les décadents, qui ont pourtant essayé de travailler avec un maximum de langages, n’utilisaient pas le langage scientifique. Moi, ce langage me fait rêver. Prenons par exemple une phrase comme “Un intervalle presque partout compact”, eh bien ce “presque” a un sens… même si on ne le comprend pas, ça fait rêver. Autre exemple, “Sous-ensembles flous” : le mot “flou”, très beau… En poésie, le mot n’est parfois au service de rien, ni d’une histoire comme dans un roman ni d’une idée comme dans un essai. Et c’est pas mal. Voilà pourquoi, qu’on l’aime un peu ou énormément, on aime toujours Mallarmé.
En lisant le roman d’Aurélien Bellanger, as-tu eu l’impression d’avoir fait école ?
Cette impression remonte déjà à quelques années. Il y a bien une augmentation générale du réalisme sociologique (sourire) qu’on peut faire remonter à moi. Le début d’Exhibition de Michka Assayas était très réussi au rayon sociologique, quand il explique ce que c’est que de vivre dans la vallée de Chevreuse. J’adore ce genre de trucs, et si ça remonte à moi, je m’en félicite plutôt.
Il y a un livre qui n’a pas été remarqué et qui m’a beaucoup plu, Vie et Mort de la cellule Trudaine de Christophe Carpentier. Je crois que ce qui m’y est emprunté, c’est la volonté de retracer une évolution sur une période historique. Je reçois des livres vraiment pas mal, récemment Les Saintes de Fabrice Guénier. Je suis plutôt content des jeunes auteurs qui m’envoient des livres, le niveau de la littérature française est très bon.
On a le sentiment que tu te livres plus directement dans la poésie que dans le roman…
Oui, la poésie permet, davantage que le roman, de s’exprimer intimement.
L’amour y occupe une grande place…
Oui, c’est mon grand sujet. En fait, la question de l’existence.
Si on relit tes romans par ce prisme, peut-on dire que, dans La Carte et le Territoire, le grand sujet c’est l’amour du protagoniste avec Olga, plus que ta vision sociologique ?
Isabelle Chazot, alors qu’elle travaillait à Playboy, avait commencé à organiser un numéro spécial dont l’idée était de reprendre tous mes romans à travers mes personnages féminins. C’était un projet intelligent, une très bonne approche de mon travail. Depuis Extension du domaine de la lutte, écrire au sujet de la société m’aura permis d’écrire des passages brillants, et j’aime être brillant de temps en temps. Mais ce que j’aime
le plus comme réaction à mes romans, ce sont les réactions aux personnages, l’identification de l’un ou le rejet de l’autre. Je ne dépasserai jamais ce point de vue selon lequel un roman, c’est avant tout des personnages. Et c’est vrai que mes personnages féminins sont plus variés que mes personnages masculins, qui sont, en gros, définis par un axe qui oscille entre accepter ou refuser de désirer – se tenir à l’écart du monde. Alors qu’il n’y a pas de renonciation à la vie chez mes personnages féminins. Peut-être parce que j’ai davantage rencontré cela chez les hommes que chez les femmes. C’est très fréquent les hommes qui disent “ne prenons aucune initiative, c’est toujours plus sûr”. Mais ça, c’est peut-être mon côté classe moyenne.
Les classes moyennes croient à l’amour ?
Alors ça, ça ferait un très beau titre… Ce que je veux dire, qui est très classe moyenne, c’est que j’ai eu relativement peu de personnages en situation d’avoir de grandes ambitions, financières ou professionnelles. Même mon personnage le plus riche, le comique dans La Possibilité d’une île, arrive à un moment où il s’en fout. Il s’en fout d’avoir encore plus d’argent, plus de biens. Ce qui fait que oui, l’amour est l’aventure des classes moyennes.
Que les femmes mûres aient du désir semble toujours t’agacer. Je cite ton poème : “Tu te cherches un sex-friend,/Vieille cougar fatiguée/You’re approaching the end,/Vieil oiseau mazouté.” Pourquoi ?
C’est un agacement gentil, compatissant. Je trouve ce poème beaucoup moins agressif que le poème intitulé “Les Hommes” : “Les hommes cherchent uniquement à se faire sucer la queue/Autant d’heures dans la journée que possible/Par autant de jolies filles que possible./En dehors de cela, ils s’intéressent aux problèmes techniques./Est-ce suffisamment clair ?” L’oiseau mazouté m’inspire plutôt de la compassion, je ne le trouve pas antipathique. Les hommes, ici ou dans mes romans, sont pathétiques de banalité. Il me suffit de regarder YouPorn pendant des heures pour voir que les fantasmes masculins sont toujours les mêmes, et que ça marche sur moi aussi. Les hommes sont donc un peu cons, et j’en fais partie, c’est bien ça qui est agaçant. Ce qui est remarquable dans mon cas, c’est que même sachant cela, il n’y a toujours pas de dénigrement de la sexualité – contrairement, par exemple, à Huysmans, dans les romans duquel les hommes se rendent finalement compte qu’ils aimeraient mieux avoir la paix. J’éprouve un agacement par rapport à l’uniformité des critères du désir, mais c’est tout. Ce que j’aime dans le poème que tu cites, c’est que, comme il y a une espèce de ton vaguement je-m’en-foutiste, j’arrive à caser des phrases en anglais. D’ailleurs, le ton général un peu négligent de ces poèmes, c’est nouveau chez moi. Je me demande d’où ça vient. Je me demande si ce n’est pas Bukowski… Il y a, comme ça, des influences qui apparaissent mystérieusement.
Quel est le poète que tu relis ?
Baudelaire, depuis quarante ans, ça n’a pas changé, ça continuera jusqu’à ma mort. Rimbaud a un peu décru, Laforgue a au contraire augmenté. Mais je n’ai pas changé d’époque : il s’est passé quelque chose à la fin du XIXe, en France, qui est remarquable.
La poésie conceptuelle, type OuLiPo, ne t’intéresse pas ?
J’aime beaucoup Perec, mais presque malgré l’OuLiPo. Dans La Disparition, la contrainte est trop forte. Ça me laisse pantois et un peu peiné qu’il ait eu besoin de s’infliger d’écrire sans “e” pour pouvoir écrire.
T’intéresses-tu à une poésie plus contemporaine, à des auteurs comme Olivier Cadiot, Pierre Alferi, etc. ?
Je ne suis pas très au courant. Le côté boîte à outils ou encyclopédique, c’est ambitieux, intéressant, mais ce n’est pas mon univers poétique. J’aime beaucoup William Cliff, Bénézet, mais ce sont des lyriques.
Toi-même, dans tes romans, tu utilises des passages empruntés à Wikipédia…
Oui, mais je n’ai pas apprécié cette querelle, car retravailler des bouts d’encyclopédie, c’est bien moins droit. Je pourrais prendre mal le fait que, l’ayant déjà fait avec des encyclopédies payantes, ce soit Wikipédia qui soudain pose problème. J’ai bien le droit de recopier une description de la mouche.
Configuration… est traversé par la question du bonheur, d’un moment d’épiphanie possible entre deux êtres. Penses-tu être doué pour le bonheur ?
J’ai une seule qualité qui me donne un peu de bonheur : refaire souvent la même chose ne m’ennuie pas. Pourtant je ne suis pas, à la base, très doué pour le bonheur. La plupart des choses se passent mal, je ne trouve presque rien qui me plaise. Mais quand par hasard une chose se passe bien, ça ne me dérange pas de la répéter. J’ai découvert récemment qu’on pouvait prendre une métaphore alimentaire et la transposer à la sexualité. Eh bien, par exemple, j’ai découvert que je pouvais manger des coquilles Saint-Jacques tous les jours. Je n’en éprouve aucun phénomène de lassitude. C’est le seul atout que j’ai, mais ça n’est pas mince.
Si tu apprenais qu’il te reste un mois à vivre, qu’est-ce que tu regretterais le plus ?
D’abord, je serais indigné. Ce que je regretterais le plus, ce sont plutôt des êtres. Oui, je m’intéresse aux gens. Comme ce n’est pas évident, ça demandait à être précisé.
Il y a cinq ans, alors que tu sortais d’une sorte de lynchage médiatique suite à La Possibilité d’une île, tu me disais dans un entretien que la présence de ton chien t’avait réconforté. Dirais-tu encore ça aujourd’hui ?
Non, parce qu’il est mort. Et c’est trop récent pour que j’aie la tentation d’avoir un autre chien. Ce chien est irremplaçable. Sa présence faisait du bien, parce que… Supposons que tel journaliste ne m’aime pas : si j’en parle à une personne que je connais, elle va se faire du souci. Alors que le chien, il n’en a rien à foutre, et par contre-coup ça devient moins grave. Tu n’arrives pas à contaminer un chien avec tes angoisses. Le chien ramène tout de suite le truc à sa véritable importance, qui n’est quand même pas si grande. Il y a une formule chez Heidegger, c’est : “l’être pour la mort”. Les êtres vont vers la mort. Alors que le chien de petite taille n’est visiblement pas un être pour la mort. Le fait que Clément meure a donc été un choc.
Tu as vécu en Irlande pendant treize ans, entre 1999 et 2012. De retour à Paris, comment vois-tu la France ?
Il y a des choses qui vont plus mal, d’autres qui sont plus ambiguës… Par exemple, j’observe un retour de l’islam chez les jeunes. C’est ambigu car ça les sauve souvent de destins assez funestes, de la délinquance et de la drogue, mais d’un autre côté c’est une religion qui est ce qu’elle est, avec ses restrictions. Une autre chose ambiguë, c’est que la poussée terroir décrite dans La Carte et le Territoire, je l’avais encore sous-estimée. J’ai l’impression qu’il y a une nouvelle émission terroir à chaque fois que je regarde la télé, toutes chaînes confondues. Ce qui est ambigu, c’est, je crois, qu’une partie des Français ne croit plus du tout au mensonge officiel qui est que les emplois industriels vont revenir en Europe. Ce qui n’est pas forcément une catastrophe… J’ai été élevé par des grands-parents prolétaires, dont certains des amis avaient travaillé dans les hauts-fourneaux, et ils en parlaient comme de l’enfer. C’était vraiment atroce. Ce qui a en revanche empiré en France, c’est la précarité, la vraie pauvreté. Et ce qui va sensiblement plus mal qu’avant mon départ, c’est la méfiance des gouvernés à l’égard des gouvernants. Au point où ça en est, il n’y a plus d’autre solution que de passer à la démocratie directe. Au référendum. J’ai toujours été en faveur de ce système.
Que penses-tu de François Hollande ?
J’ai observé que j’avais une réaction de déni. Je sais bien que Sarkozy n’est plus au pouvoir, mais je n’arrive pas à croire que c’est Hollande. Je crois que je ne vais jamais m’habituer à l’idée… Si j’avais une nature militante, je militerais bien pour la démocratie directe. Cette idée a d’abord été soutenue par Rousseau, puis des anarchistes, comme Proudhon…
Je te croyais de droite…
Je peux être de droite et anar. Et pourtant, je n’aime pas les anars de droite, leur humour ne me fait pas rire. Mais lors de la dernière élection, j’ai constaté que c’était une souffrance de voter. Non pas parce que je ne pouvais pas choisir entre une personne et une autre. J’ai réalisé que c’était plus profond que ça : je ne voulais tout simplement pas élire une personne. Je voulais qu’on me demande mon avis un peu tout le temps, et sur tout. Pas seulement une fois tous les cinq ans.
Comment expliques-tu ce brusque revirement, positif, de la critique avec La Carte et le Territoire, qui t’a valu le Goncourt ?
Je n’y vois qu’un microphénonème sociologique. Ceux qui me descendaient ont dû être remplacés par d’autres journalistes qui, eux, ont aimé ce roman. C’est pourquoi, même si j’étais heureux d’avoir le Goncourt, je n’estime pas pour autant que les choses aient vraiment changé. Le pire peut recommencer…
Travailles-tu à un nouveau roman ?
Pas vraiment. Mais ce dont j’ai pris conscience récemment, c’est que la vie ne m’intéresse que si j’écris. C’est un peu pathétique. Mais c’est comme ça.
{"type":"Banniere-Basse"}