Célèbre neurologue, spécialiste des maladies cérébrales sans recours, Oliver Sacks a eu le temps, avant sa mort l’an dernier, de consigner les étapes d’une vie mouvementée.
“C’est en écrivant, en accomplissant l’acte d’écrire, me semble-t-il, que je découvre mes pensées.” Cet aveu du neurologue Oliver Sacks prélevé dans son autobiographie, En mouvement – Une vie, écrite peu avant sa mort en août 2015, révèle combien la science dure et la littérature font parfois bon ménage.
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Chez Sacks, l’écriture ne cessa d’accompagner ses découvertes médicales, comme si elle en éclaircissait les méandres et en apaisait les douleurs. Car le travail de ce médecin né à Londres en 1933, installé aux Etats-Unis au début des années 1960, se concentra sur des maladies lourdes et des troubles neurologiques perçus comme irréversibles : la migraine, l’autisme, le syndrome de Gilles de la Tourette, la maladie du sommeil, l’agnosie visuelle, la surdité, d’autres maladies neurodégénératives…
L’art de restituer l’indicible des désordres cérébraux
Ses nombreux récits, consignant certaines de ses recherches et relations intimes avec ses patients, ont touché le grand public. L’Eveil, publié en 1973, adapté au cinéma en 1990, évoquait la façon dont il avait su sortir des patients léthargiques et muets depuis des décennies, grâce à un médicament, la L-Dopa ; L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, paru en 1985, son plus grand succès de librairie, rassemblait des récits cliniques décrivant des désordres neurologiques saisissants et parvenait, par la grâce des mots, à sensibiliser le lecteur à l’inquiétante étrangeté de la condition humaine ; Musicophilia, en 2008, interrogeait les effets de la musique sur le cerveau à travers des portraits de mélomanes handicapés mentaux ou frappés par la foudre…
Dans tous ses récits, vibre cette attention à l’art de restituer l’indicible des désordres cérébraux autant qu’à la volonté de les guérir. Cherchant à éclairer dans cet ultime récit tout ce qui le mit en mouvement, aussi bien dans sa vie privée, obsédé par le plaisir de rouler en moto sur les routes de Californie, “le ventre et le torse plaqués sur le réservoir de la BMW”, que dans sa vie publique agitée, Oliver Sacks dévoile la trajectoire d’une vie hantée par le désir de libérer les corps entravés.
Un récit où l’auteur dévoile ses propres travers
Ses souvenirs foisonnants, consignés dans les milliers de notes rédigées dans le mouvement même sa vie, pourraient remplir plusieurs existences. Il n’eut besoin que d’une seule, fascinante par l’énergie et les paris qu’elle déploya. Dévoilant ses propres travers – l’addiction aux amphétamines au début des années 1960, ses propres maladies successives… –, l’auteur mesure aussi les reproches qui lui furent souvent faits : son attirance pour le bizarre et l’exotique et, plus grave encore, sa manie un peu opportuniste d’utiliser ses patients pour faire carrière littéraire.
Dans En mouvement – Une vie, il s’en défend fermement : “Aspirant à ce que mes cas cliniques soient exemplaires – j’adorais l’aphorisme de Ludwig Wittgenstein selon lequel un livre ne devrait consister qu’en une suite d’exemples –, j’espérais que des descriptions de cas d’une exceptionnelle gravité parviennent à éclairer non seulement l’impact et l’expérience des maladies neurologiques, mais peut-être même aussi des aspects inattendus de l’organisation et des fonctionnements du cerveau humain.”
Cet enchevêtrement du conte et de la recherche médicale traverse ainsi ce livre, accomplissement d’une odyssée humaine dont l’éveil permanent et le mouvement, sur la route comme dans le cerveau, furent les fécondes conditions de possibilité.
En mouvement – Une vie (Seuil), traduit de l’anglais par Christian Cler, 424 pages, 25 €
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