Trouvant un bel équilibre entre l’audace et le respect, Bastien Vivès et Martin Quenehen projettent Corto Maltese, le héros d’Hugo Pratt à notre époque.
Contrairement à leurs inventeurs et inventrices, les héros et héroïnes de bande dessinée sont-il·elles condamné·es à la vie éternelle, tant qu’ils et elles restent mythiques et rentables ? Si Hergé a veillé à garder la main, même après sa mort, sur Tintin, d’autres personnages sont devenus l’objet de franchises financièrement juteuses mais artistiquement peu stimulantes. Ainsi, si l’on excepte le brillant Dernier Pharaon du trio Jaco Van Dormael-Thomas Gunzig-François Schuiten, la dizaine de Blake et Mortimer parus depuis la mort d’Edgar P. Jacobs ont consisté, pour les repreneurs, à gommer leurs ambitions d’auteurs afin que la machine à cash et à nostalgie ne connaisse pas de ratés.
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Annoncée en juin dernier, la reprise de Corto Maltese par Bastien Vivès et Martin Quenehen constitue davantage une prise de risques qu’une réappropriation pantouflarde.
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Entre 2015 et 2019, les Espagnols Rubén Pellejero et Juan Díaz Canales ont signé trois Corto Maltese plaisants mais à la manière de Pratt, imitant le maître italien de manière troublante. Ici, Vivès, dessinateur dont la bibliographie, de Polina à Lastman, le montre autant inspiré par le manga que par la BD franco-belge, n’essaie pas de travestir son trait. S’il s’efforce d’être plus réaliste que jamais, on retrouve dès l’ouverture – un échange nocturne entre pirates – son graphisme et son goût pour la bichromie bleu-gris. La seule concession reste le lettrage, réalisé d’après Pratt. À part ça, Martin Quenehen et lui se permettent une jolie audace : exfiltrer Corto Maltese du XXe siècle afin qu’il connaisse le début du troisième millénaire. Avec effroi, les puristes verront ainsi l’aventurier utiliser un téléphone portable.
Au-delà de ce saut temporel, le duo français bâtit une histoire habile et voyageuse où le marin au regard magnétique croise une ancienne maîtresse, part chercher un trésor au Pérou après avoir été confronté à une société secrète japonaise. Le cahier des charges est respecté mais avec assez d’élégance pour que ce Corto Maltese ait, à la fois, un goût familier et inédit.
Corto Maltese. Océan noir de Bastien Vivès et Martin Quenehen (Casterman), 168 p., 22 €. En librairie le 1er septembre.
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