Nos choix de lecture pour un été culte.
Dorian de Will Self
(Points, traduit de l’anglais par Francis Kerline, 360 pages, 7,70 €)
Une brillantissime et subversive relecture du chef-d’œuvre d’Oscar Wilde
En 2004, en France, paraît Dorian de Will Self. L’Anglais déjanté y réécrit le célèbre Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde en version moderne. Dorian, un jeune éphèbe à la beauté démoniaque, est initié à la débauche par le dandy Henry Wotton et l’artiste Basil Hallward.
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D’orgies de drogues en partouzes dionysiaques, de palais victoriens en backrooms londoniennes, le trio toxique s’enivre de stupre eighties avant d’exploser, décimé par le sida. En 2004, j’ai 16 ans. Après Un barrage contre le Pacifique de Duras au programme du bac et L’Enfance d’un chef de Sartre sur prescription paternelle, Dorian est un choc initiatique.
Sex, drugs & Elton John : je découvre que la littérature est aussi un espace de subversion, la vitrine sans tabou des marginalités inquiétantes, des perversions clandestines et des vices contemporains. Avant Will Self, il y avait Duras, Camus ou Malraux ; après lui, il y aura Bret Easton Ellis, Irvine Welsh, Hubert Selby Jr., Dustan, Despentes… Rock on ! L. B.
Cité de la Nuit de John Rechy
(Gallimard, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Maurice Rambaud, 640 pages, 15,20 €)
Le premier roman queer
A elle seule, la phrase d’ouverture est un roman : “Plus tard, je devais songer à l’Amérique comme à une immense Cité de la Nuit étalant sa kermesse criarde de Times Square à Hollywood Boulevard – appel de juke-boxes, gémissements du rock’n’roll : l’Amérique nocturne dont les villes noires se fondent dans la forme inévitable de la solitude.”
En détaillant les stratégies de drague de hustlers en quête de clients, le premier roman de John Rechy donne une voix aux travestis, aux folles, aux motards sans Harley et aux cow-boys de minuit tapinant sur les trottoirs de New York et de Los Angeles. De quoi faire scandale dans l’Amérique de 1963, mais aussi enflammer les poètes et cinéastes de la marge ; par la suite, l’influence de Cité de la Nuit se fera sentir des chansons de Lou Reed et Jim Morrison à My Own Private Idaho de Gus Van Sant.
Avec leur double dose d’électricité – celle des néons qui les éclairent et celle du lyrisme post-beat qui les électrise –, les mean streets de Rechy comptent en effet parmi les trésors de la littérature urbaine. B. J.
Si une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino
(Folio, traduit de l’italien par Martin Rueff, 400 pages, 8,20 €)
Une multitude de romans (inventés) en un seul
“Tu es sur le point de commencer le nouveau roman d’Italo Calvino.” C’est la première phrase de cette petite merveille malicieusement littéraire, publiée en 1979 et restée trop méconnue en France. Un lecteur, que le narrateur tutoie et rudoie, est entraîné malgré lui dans la recherche de romans dont il n’est certain ni des titres ni des auteurs.
Son enquête le conduit de libraires en archivistes. Ces ardents passionnés croient toujours savoir de quoi il s’agit et lui conseillent des livres – qui n’ont rien à voir, mais on en lit chaque fois le premier chapitre. Ainsi, Calvino pastiche tous les genres littéraires, s’amuse et bouscule nos habitudes, piquant notre curiosité avec des débuts de romans plus vrais que vrais, quand nous sommes réduits à en imaginer la suite.
Dans la droite ligne des oulipiens français qu’il a bien connus, l’auteur du Baron perché a révolutionné la littérature italienne. Ses prouesses constituent autant d’odes à la créativité et ce livre-ci, loin d’être un bazar foutraque, lui donne l’occasion de faire le point sur ce que doit être, selon lui, l’écriture romanesque.
Alors nous voilà courant d’un chapitre à l’autre dans ce texte inoubliable, à la recherche de livres perdus autant que rêvés, tandis que le lecteur-personnage de Calvino tombe amoureux. Et de qui ? De la lectrice idéale, bien entendu. S. T.
La Clôture de Jean Rolin
(Folio, 256 pages, 8,20 €)
Voyages dans l’espace et le temps le long du périph
“Quelques heures avant la fin du vingtième siècle, l’homme se tient debout, un peu en retrait, une cigarette calée entre deux doigts de la main gauche, devant la fenêtre 611.” Ainsi commence La Clôture de Jean Rolin. Vous êtes dans la chambre d’un motel miteux qui donne sur le périphérique.
Dans quelques pages vous serez sur le boulevard Ney, que vous allez arpenter de long en large, à la rencontre de personnages solitaires, attachants, tragiques, l’un retranché avec sa caravane dans un pilier sous le périph, l’autre échoué au McDonald’s où il a élu domicile. Un univers en marge de la société, mis au ban de celle-ci, invisible.
Vous allez également voyager dans le temps, repartir sur les traces du maréchal auquel est dédié ce boulevard, vivre avec lui les guerres impériales, la trahison de Napoléon, la déroute. Superposant deux époques, deux univers, ce livre magistral résume tout ce que la littérature devrait être : une ligne de fuite, ou plutôt une tangente qui emmène ailleurs, loin, pour nous faire in fine revenir à la vraie vie. Y. P.
Le Lit défait de Françoise Sagan
(Le Livre de Poche, 320 pages, 7,10 €)
Passions délicates et tragédies élégantes
Acrobatique défi que de choisir un roman dans une bibliothèque. Il faut d’abord se tordre le cou pour lire la tranche à la verticale puis tenir la position avant de se laisser convaincre, par le nom d’un auteur, souvent, le rythme d’un titre, plus rarement.
Françoise Sagan a l’avantage d’avoir un nom culte et la science des titres sublimes : Bonjour tristesse, Des bleus à l’âme, Aimez-vous Brahms…, Le Lit défait… Quelques mots seulement qui résonnent comme la promesse de passions délicates et de tragédies élégantes.
Dans Le Lit défait, un dramaturge aime une comédienne qui ne l’aime pas, le trompe, le quitte, revient et finit par tomber amoureuse. Une romance électrique et foutraque dont les images, plus que l’intrigue, ont ancré en moi l’esthétique immuable du romantisme bohème, bourgeois, contemporain : sur une moquette bleue, un téléphone à cadran qui ne sonne pas, le tombé d’un rideau qui dévoile les draps froissés d’un lit d’amants, la nuque dégagée d’une jeune femme endormie. L. B.
Ma vie avec Virginia de Leonard Woolf
Les Belles Lettres, traduit de l’anglais par Micha Venaille, 160 pages, 13,50 €
L’un des plus beaux livres écrits sur l’intimité d’un écrivain.
Des nombreux volumes que Leonard Woolf, le mari de Virginia, consacra à l’écriture de ses mémoires, Les Belles Lettres publie aujourd’hui une sélection sous la forme d’un seul livre.
Concentré sur sa vie auprès de Virginia Woolf, dont il tombe amoureux très jeune et à laquelle il fera une longue cour, ce livre poignant dévoile non seulement la psyché d’un homme à l’intelligence brillante, humaine, mais aussi la vie quotidienne auprès d’un des génies de la littérature du début du XXe siècle, et les coulisses du groupe de Bloomsbury.
Très vite, Leonard se retrouve happé par les crises bipolaires de Virginia, qui lui valent de devoir passer de longues périodes (parfois plus d’un an) alitée, loin de l’agitation de la ville, et qui la mèneront au suicide, en 1941. Suicide qu’elle aurait accompli plus tôt, et qui nous aurait privés de son œuvre novatrice, si Leonard n’avait été auprès d’elle.
On la découvre aussi trop sensible aux critiques, sombrant dans la dépression après la fin d’un texte, aimant les soirées, sans cesse complice avec son mari contre la doxa bourgeoise de l’époque. C’est un vrai couple qui se construit sous nos yeux, soudé envers et contre tout. N. K.
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