L’été, tout est permis : nous vous proposons donc nos lectures les plus inavouables. Sexiste, xénophobe, réac, Le Club des cinq d’Enid Blyton a pourtant fait les délices de notre prime jeunesse. Une passion d’enfance difficile à assumer.
Vivre libre. Il n’y a presque rien d’autre à ajouter. D’autant que tout a été dit, vieille lune, sur la face sombre et à peine cachée des aventures du Club des cinq, écrites au fil de l’après-guerre par la Britannique Enid Blyton (1897-1968).
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Elitiste ? C’est vrai : les jeunes héros (plus ou moins 14 ans) sont des gosses de riches. Le papa est ingénieur, la maman est propriétaire d’une villa et d’une île en bordure des côtes bretonnes (dans la version française, dans le Dorset pour la VO). Ils fréquentent les bonnes écoles, sont servis par de vieilles domestiques pittoresques et fidèles, n’ont pas de soucis d’argent car l’argent n’est jamais un souci. Une fameuse bande de têtes à claques.
Les garçons sont préposés aux décisions importantes
Sexiste ? Mais oui : dans cette “fratrie” de cousins-cousines où règne une apparente parité – deux mâles, deux femelles –, ce sont toujours les filles, Claude et Annie, qui font la vaisselle, le ménage…
Les garçons, François et Michel, sont préposés aux décisions importantes, comme siffler un porteur pour qu’il aille chercher les valises dans le train, faire ou non du vélo, se baigner ou pas, et surtout, activité majeure, traquer les filous, leur donner des baffes et des coups de pied.
Les vilains sont vraiment affreux avec leur faciès douteux
Xénophobe ? A n’en pas douter, et même un poil raciste : blanc de blanc, il n’est pas question de se mêler à quoi que ce soit d’un peu différent. D’autant que les vilains sont vraiment affreux avec leur faciès douteux et leur peau souvent trop basanée.
Certes, il est question d’une “saltimbanque”, Jo, que le Club est prêt à adopter en numéro 6, mais c’est pour mieux lui apprendre les fondamentaux de la civilisation occidentale : se laver les dents, manger avec des couverts, dormir dans un lit. Bref, conservateur, le Club des cinq, c’est rien de le dire, quand le retour à la raison après de folles aventures coïncide toujours avec un retour au logis familial, le plus réglo qui soit. Le Club des cinq trous du cul en somme. Sauf que pas seulement.
De petites machines célibataires
Fréquenter les cinq, tout au long des vingt et un tomes de leurs péripéties, c’est s’abonner au meilleur d’une enfance sans cesse orpheline, se mettre à l’écoute de petites machines célibataires qui ronronnent dans le désert des vies normales. A commencer par le chiffre 5, qui cache une fameuse surprise puisque le cinquième ou, va savoir, le premier du Club, n’est pas un être humain mais un chien : le chien Dagobert, dit Dago.
Le gros chien de Claude, qui n’est jamais avare d’une bonne sottise : tout renverser, aboyer alors qu’il serait plus prudent de se taire, mordre les mollets des méchants quand ce n’est pas encore le moment de leur sauter à la gorge. Il ne lui manque que la parole, bien que Claude, sa maîtresse, soit championne dans l’herméneutique de ses ouah ! ouah !.
Un confident pour la jeune fille car Dago, dit-elle, “paraît comprendre tout ce que je lui dis”. La petite Lacan canine ne va tout de même pas jusqu’à interpréter outre mesure une phrase comme : “Dagobert acquiesça d’un vigoureux coup de queue.”
« Elle était habillée en short et chandail, exactement comme un garçon »
Pour les autres membres du Club, Dagobert est aussi un ange gardien qui flaire les bons et mauvais coups, surtout pour Annie, la cadette du groupe et la plus immature (toujours à avoir peur de tout), qui a parfois tendance à considérer Dago comme une peluche vivante (cf. un épisode navrant où Annie affuble Dago de rubans multicolores). Mais bon, dira-t-on, c’est une fille. Rien à voir avec Claude, qui pourtant est aussi une fille, quoique…
“Elle était habillée suivant sa coutume en short et chandail, exactement comme un garçon. Elle regrettait de ne pas en être un et avait toujours refusé systématiquement de répondre quand on l’appelait Claudine. Aussi avait-on pris l’habitude de la nommer simplement Claude.”
Quand on l’interrogeait sur son art, Enid Blyton répondait : “J’écris undermind”
La confusion n’est pas seulement celle des genres. Le Club des cinq (en anglais original The Famous Five, comme une anticipation des Fabulous Four de Liverpool) est un plaidoyer permanent pour la vie en groupe et au grand air au nom d’une défiance indéfectible pour les adultes et leur autorité, singulièrement celle des parents : père absent ou acariâtre, mère souffreteuse à répétition qui, tous deux, ne comprennent pas que l’île est infestée de contrebandiers ou que les trains fantômes existent. Il n’y a guère que l’excentrique oncle Henri, hurluberlu très célibataire, qui puisse s’immiscer dans les facéties de ses neveux et nièces.
Ce “simplement” est un vrai délice de sous-texte de la part de madame Enid Blyton qui, quand on l’interrogeait sur son art, répondait : “J’écris undermind.” Faut-il mettre sur le compte de cette sous-conscience l’exaltation d’une fille ratée en garçon réussi ?
Le soupçon que cela puisse dégénérer
Des enfants sauvages ? Pas tout à fait, bien que rôde parfois le soupçon que les vacances enfantines puissent dégénérer, comme dans Sa Majesté des mouches de William Golding, en vraie barbarie.
Quant au ton, Enid Blyton pratique une langue aussi claire que la ligne du même nom, où les cabrioles sont toujours “joyeuses”, les cris “enthousiastes” et les souvenirs “merveilleux”. Un style essoré qui autorise qu’on y enfourne jusqu’à l’abus sa propre lessive.
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