Ariane Chemin et Vanessa Schneider, grands reporters au “Monde”, retracent l’ascension et la chute de Patrick Buisson, âme damnée de Sarkozy, journaliste d’extrême droite devenu l’artisan de la droitisation de l’ex-président jusqu’à ce qu’un malheureux Dictaphone provoque leur rupture explosive.
« Oui. OK. On se rappelle. Je t’embrasse. » Patrick Buisson raccroche son téléphone. A l’autre bout, il s’agit de Nicolas Sarkozy qui, d’après les grands reporters du Monde Ariane Chemin et Vanessa Schneider, dès 2005, ne peut plus se passer de l’avis de son « conseiller occulte » Patrick Buisson.
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Ainsi débute Le Mauvais Génie – titre emprunté à l’un des romans de la comtesse de Ségur – dans lequel les deux journalistes brossent le portrait de cet homme au passé discret, « qui a la rage des vaincus et la revanche haineuse des humiliés ». Patrick Buisson prépare lui-aussi un livre qui devrait sortir dans les prochains mois. Car après la rencontre, la conquête de l’Elysée et l’ivresse du pouvoir, se dressera l’inévitable rupture, entre ces deux hommes qu’au fond tout oppose. L’un est bling-bling et le revendique. L’autre cultive son passé secret que d’aucuns jugent sombre. « Je me tais jusqu’au jour où je ne me tairai pas. Et ce sera spectaculaire », déclarait ainsi Buisson en octobre.
« Il ne peut rien faire sans moi, Naboléon »
Une grande partie de ce livre de 300 pages est consacrée aux rapports entre Patrick Buisson et Nicolas Sarkozy. « C’est le nain », « le petit », « il ne peut rien faire sans moi, Naboléon », déclare l’ancien journaliste à propos de celui qui n’est encore que candidat au poste suprême. Au fil des chapitre est donné le sentiment que Buisson a trouvé en Sarkozy la marionnette qu’il n’avait pas décelée en Jean-Marie Le Pen ou Philippe de Villiers auparavant : « Il a mis la main sur homme providentiel, celui qui pourra faire avancer ses idées au plus haut sommet de l’Etat et les faire rentrer par effraction dans l’histoire », peut-on lire dans le premier chapitre, « Un homme unique ».
Les deux hommes se rencontrent une première fois en 1995, mais ce n’est qu’en 2004 que Patrick Buisson rejoint la Sarkozie :
“Tout les sépare, jusque dans les détails. Nicolas Sarkozy est gourmand de tout, Patrick Buisson mange sans plaisir, commande un Coca pour arroser les plats des brasseries qu’il fréquente. Le président est un sportif, lui un hypocondriaque qui a toujours peur de prendre froid. Capable d’appeler au milieu de la nuit le professeur Bernard Debré, qu’un ami lui a présenté, dès qu’il croit déceler le symptôme d’une maladie forcément incurable. L’un est extraverti, quand l’autre cloisonne sa vie.”
C’est « l’opportunisme qui l’emporte sur l’orgueil » est-il précisé. C’est lors d’un de leurs tête-à-tête, qui ont lieu tous les mois, que Patrick Buisson va devenir un incontournable aux yeux de l’actuel patron de l’UMP. 2005, le « oui » est donné gagnant par les sondages dans le référendum pour la Constitution européenne. Mais pas pour Patrick Buisson, qui affirme : « le non va l’emporter à 55 %. Si j’ai tort, je ne reviendrai plus dans ce bureau. » Mais Buisson n’a pas eu tort. Il devient incontournable. Et c’est des mains de Nicolas Sarkozy – fait rare – qu’il recevra la Légion d’honneur, le 24 septembre 2007.
Ce jour-là, outre la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy, se trouve Jean-Luc Mélenchon. Un chapitre entier du livre est consacré au député européen du Front de Gauche. On le sait, « Méluche » ne porte pas Nicolas Sarkozy dans son cœur. Mais il déteste encore plus François Hollande qu’il surnomme alors « le capitaine de pédalo”. Buisson parle de Mélenchon comme « l’un des derniers socialistes à se référer à une grille d’interprétation marxiste de l’économie et de la société. Paradoxalement, ce n’est ni un brasseur de vulgate ni un adepte de la langue de bois. »
C’est le début d’une longue amitié, écrivent les deux journalistes, qui révèlent la présence du tribun de la gauche de la gauche lors la remise de Légion d’honneur à Patrick Buisson. « Une gourmandise », évacuera-t-il sur le plateau du Divan, l’émission de Marc-Olivier Fogiel. A la lecture de ce chapitre, il manque tout de même une citation probante de Jean-Luc Mélenchon pouvant venir étayer cette conjecture d’amitié.
La rupture
La suite du livre est consacrée au « cadeau de son ami » Martin Bouygues. Le patron de TF1 confie à Patrick Buisson la direction d’une chaîne de télévision de son groupe. « S’il n’y a que ça pour lui faire plaisir », se réjouit Martin Bouygues, intime de Nicolas Sarkozy. Il y a plus tard la tentation de surfer sur la dénonciation, en 2012, des accords d’Evian, qui ont mis fin à la guerre d’Algérie. Nicolas Sarkozy n’est pas au mieux dans les sondages.
C’est une idée qui aurait germé, à quelques semaines du premier tour, dans le cerveau du conseiller. Le 26 avril, sur le plateau de l’émission Des paroles et des actes, tout est alors prêt pour l’annonce fracassante. Elle ne viendra jamais. « Je ne l’ai pas senti », concède Nicolas Sarkozy. Buisson est furieux mais ne laisse – encore – rien paraître. Si ce n’est en privé : le « nabot » n’a « aucun courage”.
Puis il y eut la défaite de 2012 et les signes d’une rupture annoncée en trois actes :
Le premier, en mars 2013. Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy et Yves de Kerdrel (directeur de Valeurs actuelles) se retrouvent à déjeuner. Il s’agit d’une conversation en « off ». Mais le « off » se retrouve en couverture du magazine, quelques jours plus tard. Sarkozy est furieux. De Kerdrel et Buisson s’accusent.
Un deuxième événement oppose alors Buisson à Nathalie Kosciusko-Morizet qui l’accuse d’avoir voulu “faire gagner Charles Maurras” plutôt que l’ex-chef de l’Etat. Il envoie un de ses lieutenants, Guillaume Peltier, porter le fer contre l’ancienne porte-parole de la campagne de 2012 de Nicolas Sarkozy, lors des primaires UMP pour les municipales parisiennes. Sarkozy ne se laisse plus duper et soupçonne Buisson de tirer les ficelles. Il décide non pas de convoquer son ancien conseiller, mais Peltier lui-même. « Je dois continuer à traiter Buisson, il sait trop de choses, il ne faut pas s’en faire un ennemi », s’excuse en privé l’ancien chef de l’Etat.
Enfin, un troisième et ultime épisode : les enregistrements secrets par Patrick Buisson de conversation avec le patron de l’UMP. Sarkozy est alerté par Alain Bauer. Buisson est hors de lui. Il veut voir Sarkozy en urgence. Il s’explique. En le raccompagnant, Nicolas Sarkozy lui confie : « Ne t’en fais pas, Patrick, ça va s’arranger… » On connaît la suite.
Le Mauvais Génie d’Ariane Chemin et Vanessa Schneider, 306 pages (Fayard)
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