Exposé à la 11e Biennale du 9e Art de Cherbourg, le dessinateur français Nicolas de Crécy y met en avant son rapport aux villes, réelles ou non, et à l’architecture. Entretien.
Il a fallu juste quelques albums, au début des années 1990, pour que Nicolas de Crécy se fasse remarquer avec son trait baroque et fantasque. Influencé par l’expressionnisme allemand d’un George Grosz ou par Voyage en en Garabagne, le faux carnet de voyage d’Henri Michaux, l’illustrateur a vite imposé sa présence parmi les rénovateur·rices de la BD française aux côtés de Blutch ou de Blain. Il a construit son propre espace plein de fantaisie avec la trilogie du Bibendum Céleste où un jeune phoque tente sa chance dans la mégapole délirante de New York-sur-Loire ou la série Léon la came, avec Sylvain Chomet, distinguée à Angoulême en 1998 (prix du meilleur album).
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Tout en expérimentant d’un livre à l’autre, de Crécy garde une identité graphique ultra-reconnaissable qui a provoqué l’intérêt de l’industrie du manga. À la Biennale de Cherbourg, sa fascination pour les villes, réelles ou fantasmées, occupe 300m2 du musée Thomas Henry à travers illustrations et peintures, pour certaines jamais vues. Rencontre avec un auteur à l’imaginaire débordant.
Vous exposez très peu de planches, plutôt des dessins. Vous vous sentez plus libre sans les contraintes de la narration ?
Nicolas de Crécy – La bande dessinée reste ma colonne vertébrale mais j’ai toujours eu, en dehors, un travail assez riche. Pour raconter une histoire en BD, il faut un système de dessin simple. J’ai besoin de liberté en dehors de ce système. J’aime beaucoup réaliser des croquis en extérieur. C’est comme un pianiste qui fait ses gammes, ça ouvre l’œil et on n’est pas penché sur sa table.
Pourquoi dessiner des villes ?
Dessiner des villes, ce sont des vacances. J’ai emmagasiné le vocabulaire graphique de l’architecture, dessiner une ville m’est moins difficile que de représenter un corps nu. Au contraire, je peux penser à autre chose quand je dessine une ville, même être au téléphone.
Vous avez dessiné Mexico ou Cherbourg. Comment procédez-vous ?
Le Travel Book de Mexico était une commande de Louis Vuitton au sein de laquelle j’ai essayé de générer un espace de liberté. On m’avait conseillé d’aller voir quelques lieux emblématiques mais je me suis laissé guidé par mon instinct et j’ai dessiné ce qui me plaisait. Pour Cherbourg, où je suis resté dix jours, je ne m’étais pas renseigné avant. J’ai traîné et parfois manqué des endroits. Je regrette de ne pas avoir dessiné la Maison d’arrêt qui est juste à côté du musée. Ça fait partie du charme de Cherbourg où tout est concentré sur peu d’espace. Mes dessins sont comme des petits instantanés qui donnent l’ambiance de la ville.
Ricotta Nicolas de Crécy 2015
Vous avez aussi un goût pour les villes imaginaires. D’où vient-il ?
C’est très ancien. À l’âge de 5 ans. Je dessinais des villes dans lesquelles je voyageais mentalement avec des immenses immeubles, des circuits, des châteaux. Ça me permettait de canaliser mon imagination d’enfant. J’avais été inspiré par le Paris de Sempé. On avait à la maison Rien n’est simple, un Sempé qui date de 1962. Je suis né avec ce livre que j’ai toujours regardé, j’étais fasciné par ces immeubles parisiens alors que je n’avais jamais mis les pieds à Paris.
Comment est née New York-sur-Loire, le décor du Bibendum Céleste et de plusieurs de vos livres ?
Je me suis inspiré de photos de Berenice Abbott datant des années 1930. Quand je suis allé à New York, bien après, à l’âge de 45 ans, je n’ai même pas été surpris.
Pour vos dessins sur le Japon, vous avez convoqué le folklore fantastique des yōkai, ces créatures surnaturelles. Pourquoi ?
La mythologie japonaise est tellement magique et drôle ! Il y a un humour sous-jacent extraordinaire dans la représentation de ces personnages. Ça me fait rire quand on sait qu’il y a un yōkai qui lèche la crasse dans les baignoires.
“Ce n’est pas évident de redémarrer de zéro, mais je ne vois pas d’alternative”
Vous êtes l’un des rares auteur·rices à avoir été publié directement au Japon avec La République du catch.
Je me suis aperçu que mon univers, assez curieusement, parlait à des mangakas comme Katsuhiro Otomo ou Taiyō Matsumoto. Ce sont eux qui ont persuadé le directeur d’Ultra Jump de me commander une histoire. Chaque mois, je devais dessiner 30 pages et je n’avais pas d’assistant. Je pense que, comme je ne connais pas les codes du manga, je n’ai pas grandi avec, ça a dû passer pour un OVNI. Mais ça reste une super expérience.
Vous venez de vous mettre à la peinture à l’huile, explorer de nouvelles techniques c’est indispensable ?
J’admire les gens qui, en BD ou dans les arts plastiques, mettent au point une technique et l’appliquent tout au long de leur vie. Impossible pour moi. Je compare toujours le dessin à la marche en montagne. Après avoir dix fois la même balade, ça va, je la connais. L’objectif est alors de découvrir une nouvelle montagne ! À 55 ans, ce n’est pas évident de redémarrer de zéro, mais je ne vois pas d’alternative. Sinon, je préfère tout arrêter et aller me promener.
Propos recueillis par Vincent Brunner
Étranges Cités de Nicolas de Crécy jusqu’au 15 octobre 2023, musée Thomas Henry de Cherbourg
11e biennale du 9e art du 16 juin au 15 octobre 2023
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