L’Américain Laird Hunt plonge dans le passé de son pays et donne voix à une soldate inconnue. Un très beau roman, résolument féministe.
“J’étais forte, lui pas, ce fut donc moi qui partis au combat pour défendre la République.” Depuis sa ferme de l’Indiana, une femme âgée nous raconte sa guerre de Sécession, quand, toute jeune, elle se fit passer pour un homme afin de prendre l’uniforme, et devint le meilleur tireur d’élite de son régiment.
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En se glissant dans le personnage de Constance, le romancier américain Laird Hunt signe un livre chargé d’émotion, classique par sa phrase et cependant moderne par les questions qu’il aborde, et par sa structure elliptique, qui s’affranchit de la chronologie. L’histoire que Constance nous raconte est pleine de larmes et de sang, car pour survivre elle devra s’affranchir de la brutalité des hommes.
Nouvelle identité masculine
On s’attache vite à cette narratrice déterminée, aguerrie d’obscures épreuves anciennes qu’elle dévoile peu à peu. Sur le champ de bataille, elle vit dans la peur d’être découverte, mais sa position décalée lui permet d’observer avec acuité les rituels virils et d’apprécier ce que sa nouvelle identité masculine lui apporte.
Au milieu des charniers et des combats qui s’intensifient, Constance pense chaque jour à son amour qui l’attend dans l’Indiana, son homme qui était trop faible et trop mauvais tireur pour partir à la guerre et qu’elle a voulu protéger envers et contre tous. Vient le moment où elle est démobilisée : telle un Ulysse au féminin, elle s’engage alors dans un long périple plein de méandres, semé d’embûches comme de moments de grâce, et traverse à pied son immense pays pour retrouver sa maison et son époux.
Eternelle étrangeté
Genre, sexualité, identité, ségrégation raciale, injustice sociale, violence et religion : des questions encore étonnamment d’actualité traversent ce livre. Si, dans Les Bonnes Gens (2014), Laird Hunt abordait le thème de l’esclavage, il cherche ici à saisir, parmi les dissensions qui agitent les Etats-Unis aujourd’hui, ce qui était déjà en germe lors de la construction du pays. On aurait pourtant tort de réduire ce livre à une problématique strictement américaine. En se glissant dans la peau de Constance, Hunt réussit à approcher l’éternelle étrangeté qu’il y a à être une fille dans un monde conçu pour les hommes, et signe un roman salutairement féministe. Sylvie Tanette
Neverhome (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut, 272 pages, 22 €
Trois questions à Laird Hunt
Des femmes se sont-elles engagées pendant la guerre de Sécession ?
Oui, par patriotisme ou pour des questions d’argent, on estime qu’il y en eut environ cinq cents, dont on ne sait pas grand-chose. On a retrouvé des lettres, deux d’entre elles ont publié leurs mémoires, c’est à peu près tout. Ces vies de femmes, comme effacées de l’histoire, me touchent.
Pourquoi raconter à la première personne ?
C’est une contrainte, comme dans l’Oulipo. J’étais quelqu’un de différent, cela m’a donné beaucoup de liberté tout en me rapprochant du personnage, elle raconte comme si je n’étais pas là.
Vous avez étudié à Paris. Cela a-t-il une incidence sur votre travail ?
C’est à la Sorbonne que j’ai découvert Giono, et on peut lier la dimension rurale de mon roman à ses évocations de paysages. Et Flaubert, qui a dit “Madame Bovary, c’est moi”
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