Hormis un recueil de poèmes et un roman autobio publié après sa mort, Neal Cassady n’accoucha que de lettres à ses amis de la beat. Un artiste presque sans œuvre qui inspira un mouvement révolutionnaire.
« Ne m’envoie plus tes sublimes conneries à propos de mes tentatives de lettres, espèce de bouffeur de chattes ricaneur, je sais que je ne suis même pas capable d’écrire mon nom sans m’embrouiller.” Ces mots de Neal Cassady sont adressés à Jack Kerouac, “frère Jackson” comme il le surnomme parfois, dans l’une des lettres qui constituent Dingue de la vie & de toi & de tout. Après la publication du premier tome l’année dernière, ce second volume (1951-1968) de sa correspondance sort enfin en France. On y redécouvre ce trublion au charme irrésistible, qui fascina toute une génération. Persuadé que Neal-le-fantasque était un grand écrivain, Kerouac le conjurait sans relâche de se mettre derrière sa machine à écrire. “J’aimerais te croire ; mieux, j’aimerais que tout le monde te croie…, lui répond-il, mais nous savons tous que je ne suis qu’un effluve, un rêve.”
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Personnage au destin tragique, Cassady n’accoucha jamais de l’œuvre espérée (il ne publia que Première jeunesse, ébauche de biographie sortie à titre posthume en 1971). Ces lettres montrent pourtant que Kerouac, Gary Snyder et consorts ne s’étaient pas trompés : son style plein de verve, mélange d’onomatopées, de calembours et de traits d’esprit, révèle l’étendue du talent gâché. Il s’applique, bute sur un mot, cherche la formule qui claque. Comme si ses missives postées d’un bout à l’autre du pays, qu’il traverse en trombe, avaient aussi servi à ne pas décevoir ses amis – à entretenir le mythe qu’il était, presque malgré lui, devenu.
Immortel Dean Moriarty
Immortalisé sous les traits de Dean Moriarty dans Sur la route (1957) de Kerouac, Cassady s’efface du paysage littéraire tandis que la légende de son alter ego fictif grandit. Incarcéré en 1958 pour possession de marijuana, il est voué aux gémonies par l’Amérique conservatrice qui en fait un symbole, avec “Ginsberg l’homosexuel”, des mœurs décadentes du mouvement beat. Lorsqu’il sort de prison en 1963, le mythe beat generation a déjà dévoré ses principaux protagonistes. Hollywood en a tiré un film médiocre (Les Beatniks de Charles F. Haas, 1959), Kerouac sombre dans l’alcoolisme, Ginsberg est poursuivi par le FBI, Burroughs s’est réfugié en Europe.
Neal Cassady mourra en 1968, on retrouvera son corps sur une voie de chemin de fer. “Il apportait quelque chose de nouveau, prophétisé et attendu depuis longtemps”, écrivit Ginsberg à son sujet. C’est aussi l’Ouest américain qu’on entend ici, ainsi qu’une belle leçon de vie.
Dingue de la vie & de toi & de tout – Lettres 1951-1968 (Finitude), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fanny Wallendorf, 256 pages, 22 €
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