Le Festival de la BD consacre trois expositions à des maîtres du manga. Au premier rang desquels l’auteur de Monster, Happy! et 20th Century Boys), à découvrir aussi à Paris.
Naoki Urasawa est un familier d’Angoulême. Deux de ses séries les plus haletantes y ont déjà été primées, 20th Century Boys en 2004 (Prix de la meilleure série) et Pluto en 2011 (Prix intergénérations). Cette année, ce maître du suspense est à l’honneur d’une grande rétrospective qui se déplacera ensuite à Paris.
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“Je suis très content d’exposer en France car j’aime beaucoup la BD franco-belge, je me sens toujours des points communs avec ses auteurs, c’est comme si on était amis. Avec cette exposition, c’est comme si je me rapprochais de mes amis !”, se réjouit-il.
L’influence décisive d’Otomo
Né en 1960 à Fuchu, dans la préfecture de Tokyo, Naoki Urasawa commence très jeune à dessiner. Son père souvent en vadrouille, sa mère au travail, il vit chez ses grands-parents avec son frère aîné. Il regarde des anime et copie des dessins d’Osamu Tezuka (qu’il signe du nom du maître !). Comme beaucoup de mangakas, il est resté à jamais marqué par les œuvres du “dieu du manga”, notamment la série Phénix. Plus tard, son deuxième choc est Otomo, dont le style réaliste lui ouvre des perspectives.
“Otomo a introduit la BD européenne au Japon. Vers 18 ans, j’ai été très influencé par Moebius, mais à l’époque ses livres coûtaient très cher. Après, je me suis intéressé à l’œuvre d’Hergé. J’aime beaucoup la ligne claire qu’il a définie, en particulier dans les albums qui se déroulent dans des grandes villes et sur mer”, explique-t-il. Une influence qui se retrouvera plus tard dans ses propres œuvres, dans son trait sobre et sa narration efficace.
Espérant travailler chez un éditeur après ses études, il dépose un CV chez Shogakukan, et en profite pour montrer un manga réalisé pendant la fac. “J’ai choisi de devenir mangaka lorsque j’ai reçu le Prix jeunes talents chez Shogakukan. Là, j’ai informé mon père que je voulais essayer le manga pendant un an et il m’a dit ‘OK, vas-y’. Mon père était très libre, sans travail fixe, je pense qu’il était content que je veuille faire ça.”
Pineapple Army, succès immense adapté en anime
1983 est une année décisive. Il publie sa première histoire, Beta!!, et rencontre Takashi Nagasaki, qui va devenir pour de longues années son “tanto”, ou conseiller éditorial, avec qui il collaborera sur de nombreux scénarios.
En 1986, il débute ses deux premières séries, Pineapple Army, sur un ancien militaire qui enseigne l’autodéfense (scénario de Kazuya Kudo), et Yawara!, une comédie sportive en vingt-neuf volumes qui suit les aventures, de combat en combat, d’une jeune judoka. Succès immense, la série est récompensée, adaptée en anime et en film, et amène même à une augmentation de la pratique du judo féminin au Japon !
Menant toujours de front plusieurs séries, il s’attaque à Master Keaton (scénario de Hokusei Katsushika), dans laquelle un ancien agent du SAS britannique devient enquêteur pour une compagnie d’assurances, et à Happy!, sur une jeune championne de tennis prise entre rivalités et yakuzas. Au cours des années 2000, épuisé par un rythme harassant, Naoki Urasawa sera contraint de mettre son travail entre parenthèses.
Des séries plus personnelles dans les années 1990
“Pendant vingt ans, j’ai travaillé sur plusieurs séries en même temps, parfois sur six séries, avec donc six dates de rendu en même temps. C’était un rythme infernal. Tellement soutenu que j’ai fini par tomber malade. Le mot pression n’est pas assez fort pour exprimer ce que je ressentais mais j’étais très content de recevoir toutes ces offres, c’était satisfaisant de voir mes œuvres publiées. Et travailler sur autant de séries m’a permis de stimuler au maximum ma créativité et mon imagination. Aujourd’hui, je ne suis que sur deux séries, je fais 40 pages par mois, c’est plus facile.”
A partir de 1995, il se lance dans des séries plus personnelles qui vont asseoir définitivement son style. Ce sera d’abord Monster, thriller palpitant, ambitieux et complexe, lointainement inspiré des séries télé qui ont marqué son enfance, comme Le Fugitif.
Des années après avoir sauvé un petit garçon, un chirurgien est accusé des crimes commis par l’enfant, devenu un génie du mal, et se lance à sa poursuite. En situant Monster en Allemagne pré et post-réunification, Urasawa souligne pour la deuxième fois après Master Keaton son attirance pour l’Europe.
Le mangaka la juge “intéressante pour développer des intrigues, riche en histoires”, et plus généralement pour nourrir le caractère cosmopolite de ses mangas, qui comprennent quasi systématiquement des scènes situées en dehors du Japon. Monster tient en haleine pendant dix-huit volumes, reçoit de nombreuses récompenses au Japon et en Europe, et devient un anime de soixante-quatorze épisodes.
20th Century Boys, une saga en vingt-quatre volumes
Alors que Monster n’est pas tout à fait terminé, Urasawa entame 20th Century Boys. Dans cette saga qui comprendra vingt-quatre volumes, l’auteur confirme son goût pour les intrigues complexes, aux nombreux flash-backs, fausses pistes et rebondissements.
En 1969, un groupe d’enfants imagine un scénario apocalyptique qui conduit à la fin du monde dans les années 2000. Trois décennies plus tard, un mystérieux personnage à la tête d’une secte semble réaliser ces prophéties. Le groupe d’amis, devenus adultes, cherche à l’en empêcher.
L’univers créé par Urasawa est angoissant, paranoïaque, et reflète des obsessions très actuelles – sectes, manipulations, armes biologiques et nucléaires… Le succès est phénoménal, la série est adaptée en trois films.
Rien ne fait peur à Urasawa, qui s’attaque ensuite à Tezuka. Avec Pluto, il développe une nouvelle du maître qui met en scène son petit héros justicier Astro Boy. Un pari risqué et réussi, où Urasawa respecte parfaitement l’univers créé par Tezuka tout en y incluant ses propres thématiques.
Maîtrise narrative et sens du rythme caractérisent Naoki Urasawa
En 2008, Urasawa crée Billy Bat, où un auteur américain d’origine japonaise se rend compte que sa BD à succès est inspirée d’un manga et se retrouve aspiré dans les turbulences de la grande histoire. En 2012, Naoki Urasawa et Takashi Nagasaki relancent Master Keaton (Master Keaton Remaster). Enfin, en 2017, il commence la minisérie Mujirushi-Le signe des rêves, qui se passe en partie au Louvre (et devrait être publiée en France cette année).
Grandes constantes de l’œuvre d’Urasawa, que ce soit dans ses comédies ou dans ses thrillers : sa maîtrise narrative parfaite – qui lui permet de multiplier les pistes et de toujours retomber sur ses pieds – et son sens jamais démenti du rythme et du suspense. Les histoires étant prépubliées dans les magazines,
“il faut assurer les dates de rendu chaque semaine et même si au début, j’ai une trame, chaque chapitre doit être le plus intéressant possible. Les détails se décident au fur et à mesure. Mais une fois que je suis imprégné de l’œuvre, que je suis dans l’énergie de la série, d’un coup l’œuvre elle-même prend le contrôle de mon esprit et suggère des idées.”
“Et c’est ça qui est intéressant, faire un voyage qui n’est pas prévu au départ, aller dans des recoins auxquels on n’aurait pas pensé”, explique-t-il. Ce fan de musique, inconditionnel de Dylan, avoue que la musique l’aide aussi à créer.
Des intrigues dans des univers instantanément familiers
“Quand je travaille sur un story-board, je ne peux pas écouter de musique car il faut se concentrer. Mais dès que je dessine, j’en écoute et ça m’inspire parfois des scènes différentes. Je joue de la guitare depuis l’âge de 12 ans et donc ces deux styles de création sont intimement liés.”
Urasawa situe toujours ses intrigues, même celles de SF, dans des univers qui paraissent instantanément familiers. Il se documente et dessine ses décors avec précision, multiplie les références culturelles, respecte scrupuleusement les contextes historiques.
On adhère d’autant plus facilement à ses histoires qu’Urasawa donne à ses personnages, même les plus secondaires, une véritable épaisseur, sait les faire évoluer et vieillir, graphiquement et psychologiquement.
Ses femmes et ses enfants sont particulièrement passionnants. Que ce soit dans les comédies sportives ou les thrillers, il met en scène des filles fortes, aux personnalités bien trempées, indépendantes, prêtes à en découdre, à l’image de Kanna de 20th Century Boys ou de Miyuki de Happy!…
Des héros très humains et toujours attachants
Les personnages d’enfants et d’adolescents, présents dans une grande partie de son œuvre, portent quant à eux systématiquement un message d’espoir. Débrouillards, intelligents, ils savent se sortir de situations difficiles et prendre des décisions graves.
D’une manière générale, les personnages d’Urasawa sont souvent ambigus, et l’auteur utilise leur complexité pour soulever de nombreuses questions sur le rapport de force, l’identité, la manipulation, la lutte du bien et du mal, la rédemption. Il revendique néanmoins une certaine légèreté.
“Souvent, on pense que je suis un auteur sérieux vu les sujets de mes séries, mais pour moi l’humour est très important. Il rapproche de l’humain. Ce qui m’intéresse, c’est montrer une galerie de personnages qui ne sont pas des héros mais des gens normaux, avec des failles.”
“J’aime les mettre dans des situations cocasses, et pas forcément des situations parfaites avec des réactions parfaites.” Très humains finalement, ses héros sont toujours attachants. “Emouvoir est important dans une œuvre. Si le public n’est pas ému, cela veut dire que l’œuvre est ratée !”
L’Art de Naoki Urasawa Du 25 au 28 janvier, Espace Franquin, Angoulême, puis du 13 février au 31 mars, Espace Paris Rendez-vous, Paris Ive
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