Malgré deux années passées en prison pour avoir défié le régime de Poutine, Nadejda Tolokonnikova, figure charismatique des Pussy Riot, n’a rien perdu de sa détermination. Elle sort un livre, “Désirs de révolution”, dans lequel elle se réaffirme punk, activiste, féministe, artiste et révolutionnaire. Rencontre.
Votre livre Désirs de révolution oscille entre recueil de témoignages, manifeste et guide de bonnes pratiques à l’usage des aspirants révolutionnaires…
Nadejda Tolokonnikova – J’ai écrit ce livre pour dire que tout est possible. J’y décris par exemple comment monter une action avec peu de moyens mais aussi les difficultés que l’on peut rencontrer et comment y faire face.
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Vous abordez assez peu la question des ressources matérielles de la révolution. De quoi viviez-vous lorsque vous avez commencé vos actions avec les Pussy Riot ?
À l’époque, je bénéficiais d’une bourse d’études et parfois j’écrivais des articles mais je n’avais pas besoin de beaucoup d’argent pour vivre. Aujourd’hui, je vis grâce à mes publications et mes interventions publiques. Nous avons aussi créé un site d’informations indépendant, Mediazona, qui traite des lois, de la justice et des exactions à l’encontre des prisonniers. Nous avons une équipe de trente personnes qui travaillent à plein temps et qui collectent des fonds privés. Je suis une business woman maintenant (rires)… En réalité, je ne suis pas très forte pour faire des économies et je dépense tout l’argent que je gagne dans mes projets artistiques et politiques.
Je déteste Lénine, il était trop pragmatique, cynique, et a ouvert la voie à des dirigeants comme Staline, mais je ne peux pas nier qu’il était doué pour organiser le financement de la révolution.
On qualifie souvent les Pussy Riot de groupe punk mais votre dernier clip, Chaika*, est un morceau rap…
J’écoute beaucoup de rap et je pense qu’il y a beaucoup de choses à changer dans ce registre souvent très sexiste. Je suis très proche de la scène rap queer new-yorkaise, j’adore Mykki Blanco ou Jungle Pussy. J’écoute aussi Missy Eliot, C-lite, Peaches, ou encore Bikini Kill… Le domaine de la production et de l’écriture de chanson est un territoire occupé par des hommes et j’apprécie de travailler avec des femmes ou des auteurs gay. Je veux participer à ce mouvement qui redéfinit le rap.
Avec les Pussy Riot nous avons bossé avec JD Samson du Tigre qui est une amie, j’ai aussi écrit une chanson avec Charlie XCX qui s’intitule Every Woman Has a Dick, un morceau un peu dans la veine de Peaches. Avec Charlie et d’autres artistes femmes nous voulons créer une équipe de productrices. Dernièrement, j’ai aussi écrit une chanson sur Donald Trump qui devrait sortir dans quelques semaines.
Le féminisme est au cœur de vos actions, diriez-vous que faire la révolution c’est avant tout renverser l’ordre patriarcal ?
Pour moi le féminisme est une raison majeure de faire la révolution mais je conçois que d’autres aient des motivations différentes. Par ailleurs, si le régime Poutine est patriarcal, le mettre à bas ne va pas pour autant éliminer le patriarcat. Il faut encore travailler pour changer les mentalités et cela va prendre beaucoup de temps.
Avez-vous rencontré des collectifs féministes en France ?
J’ai rencontré les Femen. Je les adore. C’est le groupe féministe le plus actif politiquement actuellement et j’apprécie ça. Personnellement, je ne me vois pas courir nue dans les rues, ce n’est pas mon mode d’action, mais nous partageons les mêmes valeurs : le féminisme et le clitoris ! (rires)
Quelles actions menez-vous actuellement avec les Pussy Riot ?
Ce week-end, je participe à Moscou à un concert de soutien pour les prisonniers politiques en Russie. Avec notre organisation Zone de droit, nous traitons actuellement une quarantaine de dossiers pour des crimes perpétrés à l’encontre de prisonniers par des officiers russes. Nous avons gagné notre première affaire à la Cour européenne des droits de l’homme. Nos dossiers en attente sont des affaires similaires nous espérons donc des réponses positives. Nous travaillons aussi à améliorer la prise en charge médicale en prison, il y a vraiment urgence dans ce domaine.
Comment est votre vie aujourd’hui en Russie ?
Je suis très occupée, ce qui m’empêche de vivre dans la peur, mais je sais que de mauvaises choses peuvent m’arriver. Pour le moment, je veux continuer à vivre en Russie même si c’est difficile de trouver des artistes qui veulent faire de la musique avec moi parce que c’est dangereux. Ceux qui acceptent le font de manière cachée. C’est une réaction normale, je comprends que les gens n’aient pas envie d’être persécutés et je ne souhaite pas les mettre en danger.
Par ailleurs, nous traversons une crise économique profonde, nous subissons une double sanction, celle de l’Ouest et celle de Poutine. La vie est très chère et la nourriture est presque aussi dégueulasse qu’en prison. Si j’apprécie de manger du fromage à Paris aujourd’hui c’est parce qu’on n’en trouve plus en Russie.
Dans votre livre vous dénoncez les frontières et le sort fait aux migrants.
En Russie, la population des migrants est principalement issue des pays de l’ex-URSS. Aucune politique d’accueil n’est prévue pour eux. Ils sont aux mains d’escrocs qui les exploitent et le gouvernement laisse faire. En Russie, les migrants n’ont aucun droit. Et en Europe ? J’ai contribué à récolter des fonds pour une organisation d’aide aux migrants créée par des amis à Londres et avec les Pussy Riot nous avons également fait une vidéo intitulée Refugees in tournée au Dismaland de Banksy**. Si je me sens très concernée par la situation des migrants en Europe, je pense néanmoins qu’on a plus besoin de moi en Russie.
Dans votre livre vous évoquez souvent le Christ et la Bible…
Je ne suis pas chrétienne mais j’ai étudié la Bible afin de pouvoir contrer les conservateurs qui s’en servent pour justifier leurs positions réactionnaires. S’ils avaient vraiment lu la Bible ils sauraient que le Nouveau Testament est un livre révolutionnaire !
Que faut-il faire pour devenir une Pussy Riot ?
Tout le monde peut devenir une Pussy Riot, il suffit de le vouloir.
* Ce clip, produit par Dave Sitek (TV On The Radio), dénonce la corruption du procureur général Russe Iouri Tchaika.
** Dismaland, parc d’attractions temporaire créé par l’artiste de street art Banksy
Désirs de révolution, par Nadia Tolokonnikova (Flammarion)
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