Une existence partagée entre écriture de romans et colloques universitaires justifie-t-elle une autobiographie ? Oui, quand celle-ci a pour auteur David Lodge, un maître de l’humour.
Des nuits passées, par crainte des bombes, à dormir dans une caisse d’acier, des tirs de mitrailleuse trouant le ciel de Londres, des courses-poursuites entre les Spitfire de la Royal Air Force et les V1 allemands – est-ce avec ce genre de souvenirs d’enfance qu’un homme acquiert la conviction d’être né au bon moment ?
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Oui, s’il se nomme David Lodge et si l’Angleterre dans laquelle il voit le jour se caractérise autant par l’excellence de son système éducatif que par l’esprit de résistance de ses citoyens : le “bon moment”, c’est celui où un gamin de la (toute) petite bourgeoisie, né en 1935, se voit offrir une chance de se construire un destin, et où ce destin passe par les livres.
La vie n’imite pas nécessairement l’art
Au début des années 1950, Lodge s’aventure dans les rues de Soho. Au royaume de la chair, l’étudiant en littérature a bel et bien rendez-vous avec le désir, mais uniquement au travers de l’Ulysse de James Joyce, alors banni des librairies respectables ; aveugle aux charmes des strip-teaseuses, Lodge n’a d’yeux que pour Molly Bloom et son célèbre monologue.
Contrairement à ce que prétendait Oscar Wilde, la vie n’imite pas nécessairement l’art : catholique et monogame, Lodge a rencontré sa future épouse le jour de sa première rentrée universitaire ; d’une chasteté sans faille, le couple ne rendra hommage à Molly qu’en passant sa nuit de noces dans un hôtel de Dublin.
Observations cocasses
Miracle de la sublimation : s’il respecte à la lettre les interdits du Vatican, David Lodge sait tirer partie des frustrations qu’ils engendrent. Dès son troisième roman, La Chute du British Museum, la question du contrôle des naissances – ou plutôt de son absence – est prétexte à d’étourdissants pastiches de Virginia Woolf ou Franz Kafka et propose en guise d’apothéose une nouvelle visite du côté de chez Joyce.
Mais alors que son écrivain fétiche a dynamité les structures du roman, Lodge s’attache à en renouveler la capacité à faire rire : de ses séjours à l’université de Berkeley, berceau de tous les mouvements contestataires des années 1960, il ramène suffisamment d’observations cocasses pour nourrir en 1975 la première de ses comédies de campus, Changement de décor.
Même si Né au bon moment s’achève avec la publication de ce roman culte, le récit du parcours intellectuel d’un maître de l’humour est suffisamment palpitant pour prouver que la moins romanesque des vies peut faire l’objet d’une épatante autobiographie.
Né au bon moment (Rivages), traduit de l’anglais par Maurice Couturier, 576 pages, 24 €
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